LE PETIT ROI DE GRENADE

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant le Petit Roi de Grenande nostalgique de sa ville Grenade reconquise qu’il doit quitter. Description des Jardins de l’Alhambra. L’apostrophe par sa mère.



Après qu’il eut remis" à Ferdinand vainqueur
De la ville assiégée" la précieuse clé d’or
Boabdil vergogneux" quitta sa forteresse.
Lors' suivi par sa mère" Aïxa Fatima
Sur le chemin d’exil" gagnant Alpujarra
Le petit roi quinaud" devant le mont Padul
Contempla tristement" pour une ultime fois
Sa possession perdue" qu’il ne reverrait plus.

«Grenade' ô ma cité" je te perds aujourd’hui.
Je te perds' ô ma fille" ô toi' ma seule amante.
C’est l’éternel été" sous ton ciel azuré
C’est l’éternel hiver" en mon âme accablée.
Pauvre corps léthargique" usé' paralysé
Pourrai-je en moi trouver" l’énergie de survivre?
Je n’ai plus de sang vif" en mes veines vieillies
Pareilles au Génil" où ne flue nulle goutte.
Plus je ne reverrai" ma cité favorite.
Plus je n'apercevrai" par-dessus les créneaux
Le rouge Albaïcin" écrasé de lumière.
Maudit sera toujours" celui qui dut céder
Cette beauté sublime" et cette majesté.

Le superbe Alhambra" m’offrait tous ses délices.
J’aimais la poésie" des jardins enchanteurs.
Les étiques cyprès" à la haute silhouette
M’interpellaient en chœur" tels imams solennels
«Veille à la tentation" de ce lieu trop charmant»
Pourtant j’y succombais" malgré la prévention.
Mon âme s’épurait" en franchissant les portes
Seuil du Vin' Seuil d’Ayub" sacré Seuil d’Esplanade.
Mon âme s’élevait" en gravissant les marches
L’Escalier du Mechouar" l’Escalier des Cascades.
Palais' je contemplais" sur le miroir des vasques
Vos chapiteaux massus" vos fines colonnettes
Comme en un puits magique" un fugace mirage.
Bassins changeants' mouvants" j’admirais tout le jour
Votre aqueuse harmonie" de céruléens tons.

Generalife' ô lieu" d’infinies voluptés.
Comme une courtisane" enjôle un fier guerrier
Ta câline douceur" tempérait mon ardeur.
Moins ne me séduisait" ma jolie Marayma
Que tes sentiers secrets" tes mystérieuses cours.
Mon esprit s’enivrait" se délectait' grisé
Par l’essence d’aneth" les effluves des myrtes
Plus que par les onguents" des catins effrontées.
Les tiges des jasmins" sont plus souples et lisses
Que les nattes serrées" des andalouses prudes.
La fontaine élégante" au limpide courant
Mieux qu’un perfide iris" parvient à me séduire.
Son ruisselis susurre" au fond de mon oreille
Des propos consolants" des confidences tendres
Que ne prononceraient" des lèvres carminées
«Demeure' ô' mon amant" auprès de moi toujours.
Fuis les tracas mondains" fuis les soucis vulgaires»
Les tertres gazonnés" sont plus doux que des seins.
Les recoins ombrageux" dans la fraîcheur des mousses
Dispensent à mon corps" plus de jouissance intime
Que l’appât dangereux" d’un broussailleux pubis.
Les jets se déversant" au bord du long canal
Comme cérémoniants" d’un cortège nuptial
Prodiguent sans répit" leurs gouttes scintillantes.
Ne célèbrent-ils pas" la perpétuelle union
De Grenade la Belle" et de son roi fidèle?

Alcazaba' Cour de Comares' Cour des Myrtes
Le variant Alhambra" de l’aube jusqu’au soir
Me livrait lentement" ses multiples visages.
Le voici triomphant" qui s’éveille à l’aurore.
Le jardin s’abandonne" aux baisers matinaux
Des rosâtres lueurs" pénétrant les rameaux.
Les torrides faisceaux" l’irradient' l'incendient
Quand le soleil vainqueur" au zénith s’épanouit.
Tout semble pétrifié." Les fontaines projettent
Sur l’émail des bassins" leurs éclatantes perles.
C’est l’intense combat" la joute impitoyable
De l’eau bravant le feu" du froid défiant le chaud.
Le crépuscule obscur" vient apporter la trêve.
Lors' ténébreuse' opaque" immobile en son lit
Sereinement bercée" par une haleine tiède
L’onde fourbue s’endort" pesante ainsi que plomb.
Du sombre firmament" la pacifique lune
Pose un pâle rayon" sur les rameaux brûlés
Comme un ductile baume" adoucissant les maux.

Je venais chaque jour" visiter mes amis
Les douze lions de pierre" aux naseaux ruisselants.
Je caressais leur dos" en marbre opalescent
Que je sentais frémir" sous mes doigts émollients.
Pour m’appeler demain" ne vont-ils pas rugir
Déliant subitement" leurs muscles minéraux?
Ne préfèreraient-ils" me suivre en ma retraite?»

Alors que Boabdil" songeait' désespéré
Dans son œil douloureux" une larme apparut.
Sans pitié' Fatima" sévèrement lui dit
«Mon fils' ô petit roi" comme femme ainsi pleure
Ce que tu ne sus' las" défendre comme un homme»

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007