LE PRÊTRE SHINTO

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant la méditation d’un prêtre shinto dans un Jardin japonais selon un parcours symbolique et philosophique.


Gushi' prêtre shinto" maître d’Isé-Jingu
Médite silencieux" contemplant son jardin' .

Conception de Nature" engendrée par l’Esprit
C’est l’idéal sanctuaire" à l’Impur interdit.
L’agriculteur impie" ne viole pas sa glèbe.
Point n’y peut séjourner" un boucher sanguinaire.
Les femmes en menstrues" ne peuvent l’entacher.
L’ignoble malfaiteur" ne saurait le souiller.
Le brutal bûcheron" n’y jette sa cognée.
L’on ne saurait y naître" et l’on n’y peut mourir.
Celui qui veut franchir" le portique sacré
Devra montrer son âme" innocente' ingénue.
Torii' portail virtuel" ouvert sur l’Infini
Torii' Porte Céleste" aux invisibles gonds.
C’est l’entrée bienheureuse" à l’Éternel Royaume.
Le ceignant' l’isolant" de tous côtés s’élèvent
Palissades et haies" lattis fins d’azobé
Touffus buissons' halliers épais' fourrés' taillis
Clôture en claires-voies" et barrière ajourée.
Dans l’humide sous-bois" diminués' dulcifiés
Pénètrent les rayons" que les bambous tamisent.
Comme yang avec yin" s’unit ombre à lumière.
Ginckos' sugis' sterculiers' séphoras épais
Ménagent la retraite" où règnent les ténèbres.
Les nénuphars sont gués" pour les kamis légers
Mais l’homme au corps pesant" n’y poserait le pied
Sans risquer d’abîmer" ses membres dans la fange.
C’est l’été perpétuel" dans le jardin pérenne.
Persistant' s’effeuillant" à l’automnal retour
Le sapin noir' l’érable" ensemble nous évoquent
L’intemporalité" la temporalité.
Pour guider le fidèle" à travers les parterres
S’érigent' suspendus" les déambulatoires
S’étendent sur le sol" pavages et dallages
Serpentent les allées" s’étagent les degrés
Lors qu’au-dessus du ru" s’élance tel une arche
Le délicat arceau" d’un pont en bois laqué.
L’on peut ainsi franchir" admirer' contempler
Grottes et galeries" passages et terrasses
Jetées sur pilotis" cheminements sur pieux
Reposoirs bienveillants" promenoirs bénéfiques.
L’on entend converser" le feuillage avec l’eau
Bruissement' clapotis" bruissement' clapotis.
Le shishi odoshi" se remplit et se vide
Se remplit à nouveau" puis se vide à nouveau
Rythmant du morne Temps" la course monotone.
Le regard ébloui" dans ces magnificences
Plonge ou bien ricoche' erre au loin' se perd' s’enfile
Sur les rebords' murets' saillies' pignons' corniches
La succession des plans" d’écrans' d’évidements.
L’œil peut mieux caresser" que la sensuelle main.
Saisir' mieux éprouver" qu’un préhensile doigt.
L’esprit mentalement" s’imprègne des fengshui.
L’ove ménage un cadre" invitant spectateurs.
Mieux il jouit d’une vue" panorama lointain.
La courbe est ici reine" éclipsant lignes droites.
L’espace fragmenté" paraît illimité.
Volumes s’agrégeant" surfaces divergeant
Déclivité légère" aplomb vertigineux
Se marient sans heurter" l’esthétique unité.
La nanification" réduit le paysage.
Tout semble miniature" et microcosme infime.
Le sable ratissé" devient houleuse mer.
L’arbre géant' immense" est devenu bonsaï.
Le roc se change en île" entourée par les vagues.
Le modeste galet" se transforme en récif.
Le tertre est mont puissant" le fossé val profond.
La vasque est océan" le jet fuse en geyser.
Les cailloux sont dragons" tigrons' baleine ou moine.
Le végétal paraît" s’épanouir sans nul soin
Rien pourtant ne serait" sans la geisha zélée.
C’est elle qui maintient" le précaire équilibre
De ce lieu circonscrit" dans le vaste univers.
Tout le jour elle vaque" à sa besogne noble
Soutenant le rameau" retenant le rhizome
Lissant de son plumeau" stolons' tiges et limbes
Désherbant de sa houe" plate-bande et massif.
N’est-ce Amaterasu" déesse du Soleil
Dont l’énergie vitale" irradie chaque plante?
Chaque parcelle ici" pour l’Homme est un symbole.
Pavillon de l’Espoir" Kiosque du Souvenir
Pagode Illuminée" du Rayonnant Matin
Pagode Constellée" du Firmament Obscur.
Les toits superposés" tels un essaim d’oiseaux
Déploient au sein des nues" leurs ailes gigantesques
Pour s’évader là-bas" au pays d’Ananda.
Leur vaine tentative" incurve leur mitan
C’est ainsi qu’apparaît" leurs silhouettes cintrées.
L’eau changeante simule" un destin capricieux
Dont la source est naissance" et le ruisseau l’enfance.
La fougueuse cascade" est son adolescence.
Le vaste bassin calme" est sa maturité.
L’étang croupissant' glauque" est sa vieillesse infirme.
Les fanaux lumineux" sont esprits accueillants.
Le vieux banc nous accorde" un moment de repos
Mais le chemin nous dit «Suis-moi sans plus attendre.
Le terrestre séjour" ne permet l’abandon»
Bien ardu nous paraît" le parcours des fléaux
Bien étroite la Voie" de la stricte Justice.
L’Ascension de l’Effort" nous semble interminable.
De vénéneuses baies" sont tendues vers nos bouches.
Nous les suçons gaiement" sans remords ni méfiance.
Dans la pelouse on voit" parées élégamment
De ravissantes fleurs" que l’on ne peut cueillir.
Le dédale nous perd" en son réseau de sentes
Puis le gué périlleux" nous propose une épreuve.
Gardons-nous d’un faux pas" qui nous serait fatal.

Gushi' prêtre Shinto" maître d’Isé-Jingu
Médite silencieux" contemplant son jardin.

Le sommet de l’extase" est-il résignation?
La perfection totale" est-elle imitation?
Pureté" pureté. Que peut représenter
Son incertaine essence" et quintessence vague?
N’est-ce pas végétal" immobile' insensible?
N’est-ce pas minéral" éternel' permanent?
L’animal n’est-il pas" ferment de la souillure?
Le Mal ne serait-il" mouvement' prédation
Le cycle indéfini" de l’attaque et défense?
N’est-il pas désolant" ignoble' intolérable
De voir ainsi chuter" au souffle des autans
L’immaculé pétale" au sein de l’excrément?
Pureté' Pureté" n’es-tu pas un tourment
Pour l’âme qui s’éprend" de Grandeur et Beauté’?
Comment peut-on survivre" en ce monde imparfait?
Comment peut-on chérir" le joug de l’Existence?
Pourquoi' pourquoi porter" cet effort douloureux
Vers l’Absolu Sublime" et la Vérité Sainte
Puisque tout sur la Terre" un jour se dissoudra
Que l’Univers demain" se décomposera?

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007