L’OR DES INCAS

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant l’Empire des Incas et sa chute sur le thème de l’or: prise de Cuzco par Pizarre, sac du Temple du Soleil, le meurtre d’Atahualpa.


Deux cents Blancs acharnés" contre un million d’Incas.
Deux cents Blancs forcenés" que la soif de lingots
Travaille sans repos" meurtrit' consumme' afflige
Comme une maladie" funeste' inguérissable.
Deux cente Blancs enragés" que la fureur de l’or
Tenaille sans répit" comme un feu dévorant.
Leur chef' ancien porcher" issu d’Extrémadure
Fils d’un hidalgo pauvre" et d’une paysanne.
Mais faut-il être noble" afin de s’enrichir?
L’homme est analphabète" ignore humanités.
Faut-il un érudit" pour vaincre les barbares?
Les crimes l’ont promu" chevalier' puis marquis
Maintenant il arbore" au milieu des uncus
L’attibut de Saint Jacque" orné de broderies.
Le voici brandissant" la chaîne à six coquilles
Lui qui jadis mania" la fourche à quatre pics.

L’on dit qu’il est un lieu" tout couvert de pépites
Que vers l’Ouest un cacique" avec tous ses notables
Dans une écuelle en or" goûte la quinoa
Dans un gobelet d’or" absorbe la chicha.
L’on dit que vers le Nord" un héros se pavane
Le corps enveloppé d’une cuirasse en or
Dans un bateau fendant" l’eau du Guatavita.
L’on dit que vers Quito" culmine un pic en or.
L’on dit qu’un chef indien" pour expier ses forfaits
Jette rituellement" son or au fond d’un lac.
Voici qu’un nom magique" épanouit les visages
Déclenche l’hystérie" dilate les pupilles
Soulève les passions" déchaîne la folie
C’est Eldorado' pays' merveilleux' maléfique.
Dès qu’il est prononcé" les hommes subjugués
Sont frappés d’hébétude" exaltés' enivrés.
Tels malades mentaux" les voici possédés.
La transe les agite" échauffe leurs méninges
La sueur dégouline" à leurs tempes bouillantes.

Péripéties' déconvenues' échecs' déboires
La faim' le froid' l’errance" à travers les déserts
Minent les conquérants" de jour en jour plus faibles
Mais l’appât de l’or" demeure encor plus fort.
L’avidité sans borne" imprègne les cerveaux.
Traquenards' pluies de sagaies" flèches vénéneuses
Chaleur' gel' maladies" frondaisons luxuriantes
L’océan' la forêt" tempêtes et naufrages
Le soroche sournois" mal des sommets andins...
Cabotage éprouvant" dans l’archipel des Perles
Désert' Atacama" puis sylve à Tupiza
Les rives du Biru" fleuve inhospitalier
Rien' rien' ne peut calmer" leur soif de possession
Rien ne peut tempérer" leur désir insensé.
Premier embarquement" échouage' avarie.
La triste île du Coq" la survie dramatique.
Second embarquement. Le golfe à Guyaquil.
Tumbes à l’horizon" la menaçante ville.
Troisième embarquement. Panama" l’embuscade...
Certains s’imaginant" devenus bientôt princes
Régnant sur un pays" plus grand que la Castille
Pourrissent maintenant" rongés par la vermine
Dans l’infecte mangrove" étouffant cimetière
Sous les palétuviers" en guise de cyprès.
Certains sont capturés" par les anthropophages.
Leur dépouille finit" dans le fond d’un chaudron.
Les voici terminant" leur illustre carrière
Dans l’estomac goulu" d’un primitif Indien
Mais l’or ne vaut-il pas" cette héroïque fin?

Rien n’arrête l’humain" fasciné' mystifié
Par l’obsession de l’or" piège' amorce' illusion
Leurre' appât le menant" ainsi que le pêcheur
Se joue de la bonite" au crâne écervelé.
Moins avide est l’hermine" égorgeant la colombe
Moins acharné l’effraie" déchiquetant sa proie.
Moins opiniâtre est l’hyène" agrippant sa charogne
Pour ces conquérants l’or" vaut-il par sa beauté?
Seraient-ils éblouis" par ses feux chatoyants?
Non' car jalousement" en ses besaces closes
Chacun vite soustrait" son butin si précieux.
Pour la joie d’une belle" ainsi confieraient-ils
Ce magot rayonnant" aux mains d’un grand orfèvre
Quelqu’artiste enflammé" dont l’imagination
Taillera médaillons" broches et pendentifs?
Non' car ils vont le fondre" en informe lingot.
L’existence pour eux" n’est qu’un jeu dérisoire.
Veulent-ils acheter" la Terre et tous les hommes
Quand ils savent pourtant" que la Mort les attend?
Pour ces vils trafiquants" l’or n’est-il qu’un prétexte
Pour écumer' posséder' pour saccager' vivre?
La frénésie de l’or" passion' rage et tourment
La soif du métal jaune" incurable affection
Maladie singulière" énigmatique' étrange
Poussant l’homme à chercher" les valeurs chimériques
Lors qu’il va négliger" les vertus bénéfiques.
L’or' dangereux fléau" soumettant les humains.
Pour l’or on s’entretue" pour l’or on se trahit
L’ami qu’on chérissait" devient un concurrent.
L’or victorieux détruit" la foi' l’amour' l’estime.
Pedrarias' gouverneur" met à mort Balboa.
Pizarro menacé" fait abattre Almagro
L’or qui pervertit' l’or" qui salit' qui réduit
L’or qui souille et dépouille" enrichit' appauvrit
L’or' mirage' illusion" l’or' captieuse apparence.
L’or corrupteur' l’or séducteur' l’or tentateur.
La malédiction tue" ceux qui l’ont adoré.
C’est ainsi que Midas" par les dieux fut puni.
La couronne maudite" anémie l’Ancien Monde
S’accroit Du Portugal" pour atteindre la France
Partout bouleversant" les marchés financiers.
L’on importe en payant" plutôt que de produire.
Qui voudrait s’échiner" puisque l’or y supplée?
Commerce' artisanat" lentement périclitent.
Mais richesse n’est l’or" qu’on accumule en vain.
La richesse est esprit" courage' effort loyal.
Rien ne vient sans labeur. La force vient du cœur.

*

«Le cavalier d’argent" vous invite en son camp
L’homme venu des mers" dans une tour flottante.
Croyez-moi' c’est un piège" ô Grand Inca. Prudence.
Faites-vous protéger" par vos soldats armés
N’approchez pas de lui" postez vos sentinelles»
«J’irai sans mes guerriers" sans nul tranchant poignard.
Que m’accompagnent seuls" mes porteurs à mains nues.
Crois-moi' car vainement" je fuirais mon destin.
Rimac le Grand Oracle" annonça la venue
De grands hommes barbus" sur des coursiers bizarres.
Viracocha l’ancêtre" est parmi nous ce jour.
L’on prévoit son retour" depuis qu’il traversa
L’Océan Pacifique" en soumettant les vagues.
Sur le seuil de l’autel" est tombé mort un aigle
Poursuivi dans les cieux" par de sanglants vautours
Puis le sol a tremblé" de secousses terribles
Tandis que s’élevait" la déesse lunaire
Cerclée de rouge vif" et de funèbres taches»
«Vous serez séquestré" vous serez sacrifié»
«Je serai séquestré" je serai sacrifié»

Cajamarca' rencontre" au parvis du sanctuaire.
Le conquérant debout" le visiteur couché
Dans sa litière en paille" au bras des serviteurs.
Salutations. Regards" soupçonneux' circonspects.
Bon chrétien' Pizarro" tend sa Bible au monarque
Mais l’Inca laisse choir" cet inutile objet
Qui pour lui ne revêt" de signification.
Blasphème épouvantable" infamie' sacrilège.
C’est le signal. D’un coup" les cavaliers postés
S’abattent sans pitié" sur les serviteurs nus.
L’Inca' dieu surhumain" tombe dans la poussière.
Le voici destitué" le voici prisonnier.
Sa cape en fin duvet" peau de chauve-souris
Gît lamentablement" déchirée par le choc.
Sa radieuse tunique" en tissu de gigogne
S’étalant sur le sol" est mâchée par les pierres.
Le sacré lhanu' tresse" aux pompons cramoisis
Qui ceignait son haut front" est souillé par la terre.

Les hommes savent-ils" ce qu’ils font' ce qu’ils disent
Le matin se levant" sans même réfléchir
Se couchant à la nuit" sans méditer jamais
Ne mesurant jamais" le dessein de leurs actes?
Leur cerveau primitif" est soumis aux passions.
L’hommage à la pitié" sert la bestialité.
Le principe du Bien" sert le Mal embusqué.
L’Évangile est sali" par cette mascarade.
Le saint livre devient" prétexte à la tuerie.

*

Deux peuples séparés" par une immense mer
Deux peuples divergents" depuis des millénaires
Soudain' l’un devant l’autre" inconcevable heurt
De traditions' religion' de mœurs' d’habitus
Que rapprocha l’Histoire" en sa fatale erreur.
Conquistadors' incas" choc absurde' aberrant
De civilisations" qui ne peuvent s’unir.
Pizarre' Atahualpa" dissemblables héros
Le premier est vainqueur" le second défaitiste
L’un hardi' téméraire" et l’autre fataliste.
Pizarre' Atahualpa" vivant oxymoron.

L’Inca' divinité" par l’éther procréée
Terrestre incarnation" de l’astre flamboyant
L’Inca' momie vivante" évanescent fantôme
Depuis l’antique Temps" révéré' vénéré
Théophanie mortelle" humaine hiérophanie.
C’est en lui que frémit" c’est en lui que survit
L’esprit quiescent' passif" des peuplades andines
Masse inerte' ignorante" agrégat de tribus
Multitude asservie" par les superstitions
Foultitude hébétée' pétrifiée' sclérosée
Figée dans le rituel" des mythes primitifs
Millions de sectateurs" soumis à l’occultisme.
L’Inca' mourant flambeau" de l’empire assailli
Du pic Illimani" jusqu’à l’Antisuyu
Du mont Huanacauri" jusqu’à l’Aru Mayu
De Cuzco' de Quito" jusqu’à Vilcabamba
Du rivage à Tumbès" jusqu’au Machu Picchu.
Son feu brûla jadis" tous les Naupa Machu
Quand l’on ne distinguait" au sein de l’inframonde
L’aube de la brunante" et le ciel de la mer.
Le Tahuantinsuya" déjà se désagrège.
Dissous' pulvérisé" l’immense territoire
Que les Fils du Soleil" autrefois maîtrisaient.
Rompue la progression" de la domination
L’assujettissement" des Pocras' des Chancas
L’expansion vers la côte" et dans la forêt vierge
Le pouvoir d’Yupanqui" le vainqueur de Chan Chan
Qui forçait les rochers" à combattre avec lui.
Brisée la monarchie" des Hurin' des Hanan
Le couple fondateur" émergeant dans les eaux
Du bleu Titicaca" dont les îles dérivent
Manco Capac' Mama Ocllo' Sinchi Roca
Mayta Capac' Yahuar Huacac' Huayna Capac...

Atahualpa' déchu" prisonnier' séquestré
L’Inca dépossédé" n’est plus qu’un faible humain
Proie sans défense' offerte" au vautour espagnol.
Curieux' attentif' il observe' écoute' épie.
Comment se libérer? Que veulent ces guerriers?
Que vont-ils imposer" pour sa libération.
La coca bénéfique" ou le précieux piment
Le sel inestimable" issu de la montagne?
Dans leur idiome abstrus" éloigné du quetchua
Rien ne peut le guider" rien ne saurait l’aider.
Mais il repère un mot" passant de bouche en bouche
L’or' l’or' mot lancinant" qu’il parvient à comprendre.
Pourtant désavouent-ils" comme un dieu le Soleil
Pourquoi donc vénérer" sa brillante sueur?
Quelle absconse logique" ainsi meut leurs pensées?
Par gestes répétés" l’Inca peut dialoguer
«Pour ma libération" de l’or' de l’or' plein d’or’
Mon bras levé' tendu" marquera la mesure»

L’or' l’or' de jour en jour" s’accumule en un tas.
«Comment se pouvait-il" que le sol recelât
Tout ce précieux métal" en ces lieux désertiques?»
Pensaient les conquérants" à chaque chargement.
Le cachot de l’Inca" déjà se trouve plein.
Son bras levé' tendu" n’atteint pas le sommet
Du somptueux amas" qui s’amoncelle encor.
Toujours inassouvi" le désir de fortune
S’entretient' se repaît" de sa propre substance.
«N’est-ce pas trop peu d’or? Guerriers" ne pouvons-nous
Grossir notre magot" décupler nos richesses?»
«Cuzco' tous à Cuzco" le Temple du Soleil.
Nous devons confisquer" l’idolâtre parure
Du faux dieu qui ternit" le triomphe du Vrai.
«Tous à Qorikancha" tous à Qorikancha»

*

Le Temple du Soleil" éclat' magnificence.
Reflet' miroir' vision" de l’univers céleste.
Le Temple du Soleil" beauté' majesté' merveille
Double inverse' opposé" de l’univers terrestre.
Le Temple du Soleil" brillance' éblouissance
Que nul œil ne saurait" fixer plus d’un instant.
Le Temple du Soleil" opulence' abondance
Flamboyante lueur" d’éclairs environnée.
L’or étalé partout" chatoyant' scintillant.
L’or exhibé partout" qui recouvre les murs
Qui revêt le dallage" et masque la charpente
Carreaux d’or' plaques d’or' feuilles d’or' poutres d’or.
Pas le moindre interstice" où le précieux métal
Ne lance des rayons" ne jette sa luisance.
Partout l’or' partout l’or" statues et figurines
Qero' pectoraux d’or' masques d’or' anneaux d’or
Socles d’or' sièges d’or' lama d’or' puma d’or
Gantelet d’or' alpaga d’or' guanaco d’or.
L’or' sueur du Soleil" concentrée' condensée
L’or' mystique élément" l’or' magique élément
Divine émanation" du Monde Supérieur
Concrétion glorifiante" exaltante' absolvante.
L’or' l’or qui purifie" l’or' l’or qui sanctifie.

Mais voici les guerriers" franchissant le parvis.
Cris' hurlements' fureur' dévastation' pillage.
Frénésie' rage' impatience' acharnement.
L’on disjoint' l’on descelle" on compte et l’on emporte.
L’on se bat' l’on se tue" l’on exulte et l’on meurt.
Puis les murs nus' le sol nu' le temple désert.
De même la bourrasque" en un jardin fleuri
S’abat désagrégeant" les vermeilles corolles.

*

Bientôt' l’on achemine" à l’entrepôt du port
La riche marchandise" objet du brigandage.
L’on embarque lingots" vers l’Europe lointaine.
Les voici débités" puis fondus et frappés.

La sueur du soleil" devient monnaie vulgaire.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007