OMAHA BEACH

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant le débarquement américain sur la plage d’Omaha Beach au travers de la médiation du général américain Eisenhower qui revient visiter les tombes. La Bataille de l’Atlantique, le génocide des Indiens d’Amérique et la compromission du capitalisme industriel aux États-Unis avec Hitler.


Dans la rase prairie" partout' les croix de marbre.
Milliers' milliers de croix" milliers de sépultures.
L’on croirait éployant" leurs ailes pétrifiées
Le pitoyable essaim" d’immaculées colombes.
Ne seraient-elles pas" divines créatures
Des âmes transpercées" par d’invisibles traits
Qui tentent vainement" un impossible envol
Pour gagner dans les cieux" leur Paradis perdu?
Les trépassés partout" reposent dans la terre.
Si par miracle ici" ressuscitaient soudain
Ces guerriers massacrés" au feu de l’ennemi
Ne peupleraient-ils pas" toute une métropole
De gaillards vigoureux" d’hommes industrieux?
De Caen jusqu’à Cherbourg" au long du littoral
Se jouxtant' s’étirant' s’étalant' s’alignant
L’on ne voit' érigés" que stèles et tombeaux
Lieux commémoratifs" chapelles et musées
Bornes et mémoriaux" monuments funéraires
Blocs sans décoration" lourds' anguleux' massifs
Plaques du Souvenir" dalles et obélisques.
Panneaux et tumulus" nécropoles immenses.

Recueillement' sérénité' repos' quiétude.

Le religieux silence" engloutit maintenant
Cette portion de sol" autrefois trépidante.
L’angélus léger tinte" où hurlaient des sirènes
La douce oraison monte" où grondaient les canons.
Comme si la Nature" à l’unisson de l’Homme
Sensible au deuil profond" s’émouvait elle-même
Le vent léger murmure" un lamento lugubre
La mer à l’horizon" jette un morne sanglot.

Vaguant sur le gazon" parmi les sépultures
L’on voit se profiler" un vieil homme en costume.
N’est-il comme ses pairs" un banal vétéran?
Ce n’était pas jadis" la tenue qu’il portait
Mais l’uniforme strict" aux revers galonnés.
Des étoiles dorées" ornaient son épaulette.
Pendant qu’ici luttaient" les rangers intrépides
Pendant que là souffraient" les GI’s courageux
Lui' général-en-chef" subit à Southampton
L’atmosphère empesée" d’un bureau confortable.
Dans son état-major" à l’abri des obus
Les unités bravant" la bourrasque martiale
Pour lui se réduisaient" en fanions enfichés
Que d’un geste facile" à sa guise il mouvait.
D’un ordre il fit mourir" des hommes par milliers.
Combien plus difficile" est sa tâche pourtant.
Plus qu’un G I au front" il souffre dans sa chair.
C’est de lui que dépend" l’issue de la bataille
Responsabilité' rôle écrasant' terrible
Car c’est lui qui détînt" le sort d’un continent.
L’homme est loyal' dévoué' fidèle à sa patrie.
La probité rayonne" en son regard tranquille.
S’arrêtant longuement" il scrute l’horizon.
Là-bas' Ohama Beach" étendue monotone
Le général d’armée" pense aux boys foudroyés.
Ce qu’il n’a pas vécu" son esprit l’imagine.

*

Ainsi qu’un embryon" s’édifie lentement
Dans l’utérus fermé" du ventre maternel
Pour naître un jour enfin" résistant' vigoureux
Beau nourrisson pourvu" de ses vitaux organes
La finale victoire" est soumise au labeur
De la concertation" des longs préparatifs.

L’on dut couler d’abord" les terribles U-Boots
Qui traquaient les convois" traversant l’océan.
Les voici pourchassés" par les Squids' les Hedshogs
Calmars et hérissons" débusquant ces loups gris.
Comment peut-on sans port" assurer logistique?
L’on conçoit dans la mer" géante infrastructure
Métalliques travées" jetées artificielles
Passerelles Spud" réservoirs amarrés
Flottantes chaussées' ponts" et quais sur pilotis
Caissons Phénix' blockships" flotteurs en béton creux.
Les mulberry' plus tard" seront montés' liés
Dans les vagues là-bas" au large d’Arromanches
Sous le vigilant œil" de l’amiral Tennant
Comme une mosaïque" un aquatique puzzle.
Cependant les avions" pour duper l’ennemi
Sur un lieu différent" vont déposer des leurres
Tanks en caoutchouc' toile" ou bien contreplaqué.
L’arsenal se transforme" en décor théâtral.
Soldats peints' mannequins" cibles imaginaires
Camions et batteries" jeeps et mortiers factices
Feinte et simulation" d’un quartier général
Voyante diversion" de fictives manœuvres
Qu’un faux trafic radio" rend plus crédible encor.
La résistance à terre" accentue la pression.
L’ennemi tenaillé" sans répit doit subir
Sabotage' explosion" de plastic sur les voies
Meurtriers attentats" contre les officiers.
L’autre guerre' invisible" oppose dans les cieux
Virtuels belligérants" les ondes pernicieuses
Que l’antenne discrète" en silence propage.
Combat secret' feutré" néanmoins acharné.
Le traître camouflé" de sa grille tournante
Moucharde les avions" dans son rayon d’action
Mais détecté bientôt" lui-même finira
Sans bruit agonisant" dans sa cache profonde.
Brouillage des signaux" radar contre émetteur
L’Enigma décryptée" permet de repérer
Les métalliques proies" naviguant sur les eaux.
Le subtil espionnage" et l’intoxication
Plus qu’affrontement franc" sournoisement s’opposent.

Mais voici que survient" le fatidique jour.

Les bombardiers puissants" forteresses volantes
S’élancent dans le ciel" vers la côte française.
Les Dakotas ventrus" par la soute évacuent
L’humaine cargaison" de leurs parachutistes.
Les voici par milliers" dans le vide lancés
Priant pour assurer" leur hasardeuse chute.
L’irréelle armée flotte" au milieu des nuages.
Que pense l’homme ainsi" dans l’Inconnu jeté
Sans plus aucune attache" à la merci du sort?
Plein d’énergie' bouillant" il veut bientôt se battre
Secourir sa patrie" manifester courage.
Voici venu l’instant" qu’impatient il attend.
Las' par malchance il fut" sur l’océan largué.
Par son poids emporté" le voici qui s’abîme
Prisonnier impuissant" de son harnachement.
La bataille pour lui" n’aura même existence.
Dans cette naumachie" qu’est un individu?
Fût-il aux temps passé" plus terrible armada?
L’océan brusquement" se recouvre d’acier.
Mer' ciel' terre' il n’est lieu" d’élément' de milieu
Qui ne soit habité" par un engin guerrier.
Tank' submersible' avion' destroyer' torpilleur
Cuirassés' barges et cargos' draggeurs' chasseurs.
La maritime flotte" et l’aérienne flotte
Se ruent vers les remparts" de la côte normande
Mais sur Juno Beach' Utah Beach' Gold Beach' Sword Beach
Se dresse devant eux" le Mur de l’Atlantique.
Batteries et canons' barbelés' tétraèdres
Pieux' fossés' tranchées' encuvements' portes belges.

D-Day' choc frontal' Jour-J' terreur' cauchemar.

L’aube sur l’océan. Moment' si beau' si pur.
Vous tous' ô combattants" admirez le soleil
Vous le contemplerez" pour une ultime fois.
Parmi vous peu verront" une prochaine aurore?
Ce paradis serein" de baignade et farniente
Soudainement devient" un infernal abîme.
La mer va s’abreuver" d’un sanglant holocauste.
Mortier contre bunker" acier contre béton
Véloce mouvement" contre position fixe
Mobilité' fureur" contre immobilité.
Comme si Lucifer" animait la Nature
Contre l’envahisseur" tout paraît se liguer.
Le courant' la marée" le brouillard et le vent.
Le massacre n’est-il" absurde' inefficace?
Bradley «Nous faudra-il" réembarquer les hommes?»
C’est ici que se joue" le sort du continent.
Mais les hardis rangers" ne s’avouent pas vaincus.
Les soldats ont percé" malgré le feu nourri
La défense ennemie" jusqu’au sommet des crêtes.
Sont-ils divinités" ou bien simples vivants?
Plutôt ne seraient-ils" invincibles héros
Des fantômes sans chair" que les obus traversent.
Pointe du Hoc. Ruder. Fabuleuse prouesse
Deux cent vingt-cinq GI’s" humains se transcendant.
L’escalade impossible" au milieu des grenades
Les cordes alourdies" qui ripent dans les mains
Les roches sous les pas" s’éboulant' s’effritant
Le combat inégal" sur la falaise nue
Contre les Allemands" dans les abris tapis.
Blockhaus après blockhaus" la terrible défense
Privée de munitions" finit par abdiquer.
Les bouches enflammées" qui tonnaient sans répit
Se taisent maintenant" vaincues' à bout de force
Les gorges éructant" refroidies' s’enkylosent.
Les victorieux Alliés" sur la grève s’avancent.

*

Rêveur' l’homme a repris" sa lente promenade
Sa pérégrination" parmi les sépultures.
Malgré le sacrifice" il croit en sa mission.
«Nous avons libéré" l’Europe du martyre.
Nous avons terrassé" la barbarie nazie
Dépassant en horreur" l’extrémité suprême
De l’inimaginable" et de l’insoutenable.
N’ai-je pas bien servi" ma patrie' l’Amérique?
N’était-ce légitime" ainsi de s’ingérer?
Quel acte généreux" de perdre l’existence
Pour défendre partout" la sainte Liberté
Les Droits sacrés de l’Homme" et de l’individu»
Mais que se passe-t-il? Perturbé" son esprit
Voit comme en un brouillard" les tombes s’animer.
Les bras marmoréens" tremblent subitement.
Prodige' il entend sourdre" au sein de ces corps blancs
Le murmure étouffé" d’une lamentation.
N’est-ce une émanation" de sa propre conscience?
Bientôt le cimetière" est empli de leur voix
Qui devient insistante" amère' assourdissante.
«Pourquoi sommes-nous morts?» Lancinante question
Qui semble s’échapper" des immobiles croix.
«Pourquoi sommes-nous morts" hélas' pourquoi' pourquoi?»
«Pourquoi sommes-nous morts" hélas' pourquoi' pourquoi?»
La sueur dégouline" au front du général.
«Pourquoi sommes-nous morts" hélas' pourquoi' pourquoi?»
Singer' ITT' General Electric' Ford»
«Quoi' je ne saisis rien" à vos divagations»
«Goodrich' Kodak' Morgan' Du Pont' Union Carbide»
«Mais que dites-vous là? Que signifie cela?»
Nous pouvons si tu veux" allonger cette liste.
«Non' non' non' je ne sais rien' non' je ne sais rien»
«Tu savais" tu savais. Comment peux-tu nier?
Les camions des nazis" camions américains
L’essence des nazis" l’essence américaine
Le matériel nazi" matériel USA
Perdîmes-nous la vie" pour qu’Esso prospérât?»
«Non' non' non' je ne sais rien' non' je ne sais rien»
«Tu savais" tu savais. Comment peux-tu nier?
Le prédateur Hitler" vous l’avez soutenu
Le charognard Hitler" vous l’avez engraissé.
Nous fûmes sacrifiés" afin d’éradiquer
Cet enfant monstrueux" que vous avez nourri.
Vous l’avez renforcé" vous l’avez fortifié.
Notre naïveté" vous a bien profité.
Vous nous avez bernés" vous nous avez trahis.
Las' pour cette infamie" trop avons supporté.
Pourquoi nous honorer" glorifier nos mémoires
Si moins valent nos vies" que les pétrodollars.
Nous sommes tous confus" de cette geste ignoble.
Vous nous avez bernés" vous nous avez trahis»
«De grâce arrêtez là" vos propos diffamants»
«Les villes bombardées" par un zèle excessif»
«De grâce arrêtez là" vos propos diffamants»
«Vous nous avez bernés" vous nous avez trahis.
Mais comment pouvons-nous" de bon droit nous prétendre
Les sauveurs de ce lieu" que nos avions détruisent.
Pourquoi' pourquoi ruiner" ainsi gratuitement
Sinon pour financer" une reconstruction
Rendre un pays soumis" aux crédits étrangers
Que généreusement" on lui fournit ensuite
Gaver les industriels" éponger le chômage
Pour longtemps affaiblir" un concurrent possible.
C’est que l’on doit nourrir" un insatiable monstre
L’économie' sangsue" frénétique et vorace
Mourant d’oisiveté" vivant d’agitation.
Vous nous avez bernés" vous nous avez mentis
Comme par ces cachets" que vous distribuiez
Renfermant narcotique" avec la nautamine
Pour ne pas ressentir" l’horreur nous entourant»
«De grâce arrêtez là" vos propos diffamants»

Overlord' acte généreux' hypocrisie?
Honte ou fierté pour l’Homme" exploit ou bien tuerie?
L’esprit choqué se perd" en interrogations.
Pourrait-on séparer" mobiles et motifs?
Qu’est Yalta' rendez-vous" de chefs incorruptibles?
Rendez-vous de brigands" se partageant le Monde?
Joukov a terrassé" les armées de Paulus.
Déjà les katiouchas" ont vaincu la Wehrmacht.
Kharkov est le tombeau" de la force hitlérienne.
L’Amérique intervient" quand la guerre est gagnée
N’est-ce pour éviter" la soviétisation
Que risquait une Europe" à Staline asservie?
Nuremberg' procès. Bouffonnerie' justice?
Jugement équitable" ou règlement de comptes?
Les vainqueurs magistrats" valent-ils beaucoup mieux
Que les vaincus soumis" au box des accusés?
Le génocide juif" l’indienne destruction
Comparaison macabre" en défunts perpétrés
Six millions pour les uns" neuf millions pour les autres.
Lequel sort le vainqueur" de cet écœurant jeu?
Qui réussit le mieux" son extermination?
Massacre d’Aubigny" massacre d’Oradour
Massacres et tueries" dans le Minnesota
Carnage à Guernica" massacre à Varsovie
Le Massacre à Sand Creek" supprimant les Cheyennes
L’autochtone parqué" dans stalag ou réserve.
Le crâne des enfants" sur les rochers brisé
Les femmes éventrées" par coups de bowie-knives
Chivington et Goebells" Rommel' Hasting Silbey.
Pourrait-on mesurer" lequel fut plus féroce?
Camps de concentration" Büchenwald' Mauthausen
Les squelettes vivants" dans les chambres à gaz
Les malades brûlés" par feu de crémation.
La bombe à l’uranium" rayant Hiroshima
Dresde inutilement" anéantie' rasée.
De ces crimes lequel" apparaît plus odieux?
Qui de ces deux pays" peut enlever la palme?
La puissance a parlé. Vae victis. Fléau
Pour ceux que désigna" l’impitoyable Parque.
La guerre a décidé" par la valeur des forts
Qui sont les condamnés" qui sont les innocents.
Comme aux temps médiévaux" le combat singulier
Pour l’Homme signifie" divine volonté.
Mais pourrait-on citer" une communauté
Qui ne fût point fautive" en son triomphal temps?
Pourrait-on mentionner" un acte bénévole
Beau' droit' miséricordieux' altérocentrique
Bienfaisant' bienveillant" xénophile et sensible
Gratuit' généreux' philanthrope' altruiste et juste
Si désintéressé" loyal et transparent
Si dévoué' secourable' intègre' honnête' humain
Si manifestement" clément et magnanime
Si positivement" libéral' fraternel
Tolérant' pur' saint' consciencieux' probe' édifiant
Large et compatissant" vertueux' charitable
Qui ne fût par le Mal" corrompu dans sa moëlle.
Tous' ne sommes-nous pas' enfants du génocide?
Notre espèce n’a-t-elle" autrefois décimé
Les Néandertaliens" nos cousins' nos aïeux.
D’une élimination" ne sommes-nous le fruit?
Sélection darwinienne" inflexible et cruelle
N’est-ce pas cette loi" qui soumet les vivants?

L’homme attristé' confus" quitta le cimetière.
Jamais il ne revint" pour honorer les morts.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007