LIVINGSTONE

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant l’Afrique, ses populations, sa faune, sa flore, ses paysages au travers de l’exploration de Livingstone. Sa quête visant à retrouver la source du Zambèze.


Livingstone avançait. L’Afrique multiforme
Dévoilait sa beauté" livrait sa pauvreté.
Pour lui point d’attelage" et rapide alezan
Mais le zébu placide" au pas lent et puissant
L’apathique zébu" qui' cheminant' rumine.
Livingstone avançait" ébloui' stupéfait.
Sa drogue n’est boisson" ni fruit' baume ou bien graine.
L’astringente coca" mâchonnée par l’Indien
Le sédatif pavot" que suce l’Oriental
Ne plaisent à son goût" n’excitent son désir
Ni le thé parfumé" ni la bière enivrante
Ni liqueur et ni vin. Sa drogue c’est l’Afrique.
Livingstone avançait" fasciné' captivé.
Kenya' Tanzanie' Somalie' Soudan' Zambie
L’Afrique déployait" pour lui grandeur' splendeur
Cameroun' Zimbabwe' Namibie' Mozambique
L’Afrique dispensait" pour lui' faste' abondance.

Le continent vit' meurt" dans l’ardente chaleur
Savane tannée' rases prairies' bush aride.
L’avalanche solaire" engendre et mortifie.
L’absence d’eau le grille" et l’excès d’eau le noie.
Le Sahélien brûlé" par les rayons ardents
Contemple en soupirant" les éternelles neiges
Du Kilimandjaro" diadème en nacre fine.
La grasse andropogon" recouvre un sol gorgé.
Tuf rouge et latérite" enveloppent la terre.
L’humus est une éponge" imbibée' saturée.
Le sable est poreux filtre" asséchant' dessicant.
Le cyclone violent" creuse l’ouadi profond.
Pour l’insulaire Anglais" Welland' Severn' Tamise
Près du Nil et Niger" sont fleuves dérisoires.
Tanganika' Victoria' Volta' Malawi
Le moindre lac ici" paraît un océan.

Voici les animaux" tels infinies myriades.
La sveltesse voisine" avec l’énormité.
Certains sont agités" les autres flegmatiques
Certains sont agressifs" les autres pacifiques.
C’est ici le domaine" où la gazelle abonde.
L’endurante coureuse" aux pattes délicates
Dresse dans la savane" au-dessus des herbages
Ses cornes spiralées" enroulées' recourbées
Damalisque' impala" generuk et tommies
Darcas' oryx' addax" bubales et koudous.
Le buffle au col épais" charge férocement
Pour éviter sa corne" il vaut mieux devenir
Minuscule ciron" que géant mastodonte.
Le gnou' ce ruminant" singulier' insolite
Véritable silène" erreur de la Nature
Pour trouver la fraîcheur" migre vers les éclairs
Mais parfois de longs jours" il demeure immobile
Comme si l’enfermait" une invisible cage.
Le zèbre au flanc rayé" de blanc vif' de noir mat
Brouille la vue troublée" d’un cinétique effet.
De son cou tendu' maigre" ainsi qu’un périscope
Revêche virago" l’autruche est aux aguets
Pour fondre sur l’intrus" inquiétant sa couvée.
Le rhinocéros blanc" recouvert de poussière
Débonnaire et paisible" au pied d’un fourré dort.
Le rhinocéros noir" soupçonnant un intrus
De sa corne incurvée" brusquement le menace.
L’hippopotame obèse" embarrassé' lourdaud
Se plonge dans la boue" puis s’étale au soleil.
C’est le seigneur du fleuve" oisif poussah' pacha
Tout le jour s’ébrouant" dans sa tiède baignoire.
De longs barrissements" traversent l’atmosphère.
Les éléphants puissants" dévastent la savane.
«Tout va bien' rien ne vient" troubler notre existence»
Dit leur ventre loquace" en un lent borborygme.
Leur musculeuse trompe" étreint' palpe ou bien tâte
Se levant' s’enroulant" s’agitant' s’étirant.
La voici treuil halant" tirant' tordant' brisant
Puis la voilà siphon" refoulant' aspirant
Pour devenir fontaine" arrosant' aspergeant
Quand le troupeau se baigne" à la méridienne heure.
La girafe au long cou" bizarre' extravagante
Par ses lèvres cornées" broute les acacias.
Comment cet animal" si disproportionné
Parvient-il à courir" sans basculer jamais?
Les élégants flamants" au rosâtre plumage
Se pavanent dans l’eau" d’un rivage vaseux.
Pourquoi si bel oiseau" majestueux' superbe
Tant peut-il se complaire" en sa défécation?
Le phacochère épais" laid' repoussant' comique
Se vautre en piétinant" le sol gorgé de fange.
Le véloce guépard" en sa course effrénée
Rattrape l’antilope" et se pend à son cou
Tandis qu’hyène et chacal" repoussants nécrophages
Recherchent leur pitance" au milieu des carcasses.
Le hideux crocodile" ouvrant sa gueule énorme
Dévoile ses crocs blancs" tels sabres flamboyants.
Sous la trouble épaisseur" du fleuve paresseux
L’informe lamantin" se camoufle en son trou
Comme contrit' confus" de sa difformité.
Mais voici que survient" le Roi des animaux
Le magnifique lion" secouant sa crinière.
Lors' toute créature" en son abri se terre
Quand son grondement tonne" au fond de la savane.

Au-delà des contrées" sous le brûlant tropique
S’étend la forêt dense" épaisse' impénétrable.
C’est la forêt primaire" angoissante' inhumaine
Forêt vierge' inconnue" secrète' inexplorée
La sylve équatoriale" étouffante' accablante.
Soleil' orage et pluie" soleil' orage et pluie
Chute' évaporation" chute' évaporation
Jour après jour ainsi" le cycle recommence.
L’onde après les rayons' fortifie' densifie
Tonifie' raffermit" l’exubérante flore
Palissandre' acajou" baobabs' okoumés.
Les troncs vertigineux" s’élancent vers les cieux.
Ne dépassent-ils pas" l’irréel Yggdrasill?
Près des géants ligneux" colosses végétaux
Le chêne vénérable" est ridicule arbuste
L’auguste châtaignier" paraît bonsaï infime.
Leste viverridé" hantant la canopée
La nandinie s’ébat" dans ce domaine étrange.
La panthère assoiffée" de chair sanguinolente
Noir diablotin surgit" pour égorger sa proie.
L’écailleux pangolin" se repait de fourmis
Se collant au mucus" de sa visqueuse langue.
C’est une immense cage" où pullulent oiseaux
Calaos' touracos et jacos' malimbés
Pluviers' pluvions' chevaliers' pélicans' cigognes
De leurs chants mélodieux" remplissant la futaie.
C’est le royaume obscur" du ravageur insecte
Papillons merveilleux" remémorant l’Eden
Carabes ténébreux" évoquant les Enfers.
L’atmosphère est emplie" de nuées bourdonnantes
Silencieux moucherons" et grésillants moustiques.
C’est l’idéal abri" des Primates grimpeurs
Colobes et patas" drills et mandrills' magot.
De rameaux en rameaux" puis de lianes en troncs
Les voici cascadant" comme des acrobates
Les voici caquetant" jacassant' glapissant
La vulgaire' impudique" indécente guenon
Qui nous sert à moquer" la gente féminine
L’impressionnant gorille" athlète primitif
Qui frappe son poitrail" pour alarmer ses frères
Les babouins chamailleurs" s’épouillant en famille.
Voici le chimpanzé" comique et hilarant
L’inadmissible image" et la caricature
Blessant notre fierté" notre infatuation.
De nous considérer" parangon supérieur
Le dangereux python vorace" inassouvi
Dans sa gueule béante" engloutit les gekkos.
Le mamba venimeux" aux teintes flamboyantes
Pourchasse en leur terrier" les peureux lémuriens...

Livingstone avançait. L’Afrique multiforme
Dévoilait sa beauté" révélait sa misère.
Livingstone avançait" fasciné' captivé.
L’Afrique à lui s’offrait" comme une courtisane.
L’Afrique déployait" pour lui grandeur' splendeur.
L’Afrique dispensait" pour lui' faste' abondance.
L’Afrique luxuriante" et l’Afrique indigente
L’Afrique généreuse" et l’Afrique miteuse.

En communion profonde" au sein de la Nature
Voici disséminées" les tribus des humains
Bochimans' Hottentot' Pygmées' Bantous' Bingas
Petits' grands' dégingandés' râblés' filiformes
Tutsis' Hutus' Malinkés' Mau-Mau' Bagandas...
Pourquoi Dieu créa-t-il" si différentes races?
L’homme avec l’animal" ne se confond-il pas?
N’est-il ainsi plus digne" épanoui' libéré?
Les femmes dénudées" sur le crâne transportent
Potiches et paniers" canaris et couffins.
N’est-il rien de plus beau" que le naturel port
Dont Jehova para" ses fils depuis Adam?
Paroi de boue' toiture" en palmes rassemblées
Voici la case ronde" où bêtes et gens vivent.
L’habitat primitif" n’est-il noble demeure?
Mais il est des ethnies" dont le corps est meurtri.
Les scarifications" recouvrent leur poitrine.
Leur peau tannée devient" un vivant écriteau.
Leur chair est tailladée" mutilée' torturée
L’incisive est limée" la bouche déformée
Le mâle est circoncis" la femelle excisée.
Notre Père est Soleil" notre Mère est la Terre.
Semer puis récolter" ou soigner le bétail
La vie du paysan" du patient éleveur.
Le mil est cultivé" bordant les marigots
Le manioc' le sorgho' l’indigo' l’arachide.
L’on recueille et prépare" en bouillies nutritives
Le sagou du zamier" de l’igname racine.
Le bouvier massaï" tels vorace vampire
De sang frais se délecte" en spoliant ses génisses.
Le maigre pasteur peul" debout sur une jambe
Surveille l’horizon" de son regard aigu.
Munies d’un long bâton" les femmes en chantant
Pilent dans le mortier" les épis du mil frais.
Le sol est défriché" par la gaba courbée.
L’industrieux Ewé" brandissant la machette
Protège en son enclos" bananiers' ananas.
Voici dans la forêt" les Pygmées ingénieux.
La tige d’acacia" tourne en leurs mains agiles
Quand' miracle' apparaît" l’étincelle fugace.
La braise bientôt cuit" une odorante viande.
Les avisés chasseurs" dans les branchages tendent
Leurs solides filets" pendant qu’enfants et chiens
Jappant et criaillant" frappant troncs et breloques
Rabattent sur le piège" antilopes et gnous.
Voici les Bororos" chérissant les zébus
Les Mosis dont le roi" le fier Moro Naba
Peut brûler de ses pas" les contrées qu’il traverse.
Voici chez les Dogons" le rite saisonnier.
Couvert de kaolin" pour mimer les défunts.
L’enfant à l’écart jette" une pierre à sa mère.
Les récits du griot" confirment l’initié.
L’étourdissant tam-tam" résonne dans la brousse
Le masque épouvantable" aux yeux de noir cauris
Pour mimer les démons" recouvre les visages.
L’on ne doit savoir" qui l’agite et l’anime.
Les corps humains sont peints" de couleurs chamarrées.
La danse frénétique" emporte les guerriers
Dans son rythme effréné" sa cadence heurtée
Sa dynamogénie" haletante' éreintante.
Pourquoi Dieu généreux" donna-t-il à ces peuples
Rites si déroutant" si troublantes croyances?

Livingstone avançait. L’Afrique multiforme
Dévoilait sa beauté" livrait sa pauvreté.
Livingstone avançait" fasciné' captivé.
L’Afrique à lui s’offrait" comme une courtisane.
L’Afrique déployait" pour lui grandeur' splendeur.
L’Afrique dispensait" pour lui' faste' abondance.
L’Afrique juvénile" archaïque' incertaine
L’Afrique millénaire" intemporelle' immortelle
Dans sa décrépitude" et son adolescence
L’Afrique arriérée' l’Afrique ingénue' l’Afrique
Des rites pétrifiés" et traditions figées.
C’est le tonneau percé" des vaines Danaïdes
C’est la peau de chagrin" la corne d’abondance
L’Américain retords" l’Européen cupide
Sans pudeur s’étanchaient" dans ce trop plein calice.
Comme esclave déjà" besognait l’indigène.
Les fouets des négriers" claquaient sur les chairs vives.
L’acajou devenait" le meuble d’un cottage
L’ivoire étincelant" d’un martyr pachyderme
Trônait sur le buffet" d’un prétentieux magnat.
Marchands' négociants' trafiquants' spéculateurs
Se ruaient sans pitié" sur la proie sans défense.

Flegmatique l’Anglais" s’émerveille et s’étonne.
Voici qu’il s’interroge" incrédule' intrigué.
Comment ce continent" peut-il autant porter
Sans jamais s’épuiser" toutes ces créatures?
Mais ce qui l’absorbait" ce qui l’obsédait
Ce n’était le décor" des végétaux superbes
Ce n’était le ballet" des animaux splendides
Ni luxuriante plante" ou prodigieuse bête
Ni même les humains" si variés' si curieux
Mais le destin fuyant" des liquides chemins.
Comment est constitué" le régime des fleuves?
Pourrai-je enfin trouver" les deux sources du Nil?
Par le ciel absorbé" peut-on voir un méandre
Vaincu par le soleil" et par la sècheresse
Disparaître au néant" sans goulet déversoir
Ni siphon naturel" ni bonde souterraine?
Pourrai-je vivre assez" pour lever ce mystère?
Dans quel sens peut couler" ce fleuve capricieux
Le Zambèze inconnu" cette énigme insoluble?
Quelle immense montagne" utérus monstrueux
Put enfanter un jour" ce géant aquatique?
Mattopo' Moutchinga' n’êtes-vous réservoir
Masquant dans les forêts" de vos pubiens replis
Cette source abondante" ainsi qu’un mucus tiède?
Pourrai-je contempler" tel un adorateur
Cette matrice énorme" en sa parturition?
Quels sont les affluents" qui de leurs eaux l’abreuvent
Lui sacrifient leur onde" et gonflent son débit?
Ce courant qui s’écoule" à mes pieds' devant moi
Ne pourrait-il rejoindre" au bout de son voyage
La côte namibienne" ou l’anse mozambique
Le fougueux Atlantique" ou l’Océan Indien?
Ne part-elle vers l’Est" pour bifurquer à l’Ouest?
Ne serait-ce une ruse" abusant mon esprit
Que me joue la rivière" amoureuse perfide?
Que ne pourrai-je hélas" changer comme Protée
Mon humaine enveloppe" en goutte minuscule
Pour suivre son chemin" jusqu’à son embouchure?

Sur le seuil d’une hutte" un jour à Chitambo
L’homme tomba' vaincu" par la traître forêt.
Lorsqu’au dernier instant" son âme s’échappa
L’on vit un vague éclair" danser en son œil triste
Le terrible regret" d’un rêve inassouvi.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007