LE CHEVALIER KENNETH

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant les exploits d’un chevalier en Écosse: joute, héraldique, amour courtois, visite dans l’antre d’une sorcière, description d’un château féodal.


Baird ailé' conte-nous" l’épopée de Kenneth
Kenneth le Chevalier" de la Dame Kaitlin.
Baird ailé' conte-nous" la saga de Kenneth
Kenneth qui défendit" la jouvencelle aveugle
Kenneth qui réduisit" Murd’och le détestable
Kenneth qui domina" le maudit Lochleven
Le caisteal du mystère" et des enchantements.
Baird ailé' conte-nous" l’épopée de Kenneth.
Conte-nous le tournoi" des preux et chevaliers
Dis-nous le désespoir" la peur' l’effroi' l’angoisse.
Dis-nous l’espoir' l’Amour' la passion' le courage.
Baird ailé' conte-nous" la saga de Kenneth.

*

À Tantallon Caisteal" que lèche l’Océan
Dans l’antique salon" de haute lice orné
Le seigneur MacFarlane" a fait mander Kaitlin
Kaitlin' sa fille aînée" son enfant préférée.

L’aïeul baisse la tête" et songe tristement
Car bien à contrecœur" il doit lui signifier
Ce qu’il n’approuve point" et ce qu’elle redoute
Ce que raison commande" et sentiment refuse
Mais oubliant sa peine" il reprend contenance...
La voici qui paraît" splendide' éblouissante.
Si grande est sa beauté" qu’on la croirait image
Surgie dans le décor" de la tapisserie.

L’ancêtre alors s’avance" et lui parle à regret

«Je suis las' je suis vieux" hélas' ma chère enfant.
Je sens de jour en jour" mes forces décliner.
Voyez mon dos courbé" mon visage ridé
Voyez ma blanche barbe" et mon front dénudé.
Vous ne pouvez savoir" ce qu’est le poids des ans
Vous ne pouvez savoir" l’insurmontable horreur
De cette léthargie" du corps dégénérant.
La jeunesse épanouie" c’est une aube rieuse
Tandis que la vieillesse" est crépuscule morne.
Tout cheminement' las" me paraît laborieux
Le moindre mouvement" devient pour moi pénible.
Je ne puis soulever" ma lance et mon écu.
Je ne puis chevaucher" mon destrier fougueux.
Sensations' perceptions" pour moi sont amoindries
Sentiments' émotions" pour moi sont émoussés.
Mon oreille endurcie" désormais ne discerne
Le cri de la mouette" et le chant des grillons.
Je ne distingue pas" l’étoile au firmament.
Je ne puis déchiffrer" de mots sur le grimoire.
Voyez comment le fer" de l’anneau sur le quai
Subissant l’agression" des autans ravageurs
Lentement se corrompt" se rouille et s’amenuise.
Lui qui malgré les grains" maintenait les navires
Se rompt au moindre choc" de la houle océane.
Tel suis-je devenu" brisé' paralysé.
La vieillesse est un joug" qui soumet les vainqueurs.
Celui qu’elle asservit" se désole et s’étiole
Celui qu’elle meurtrit" jamais ne peut guérir.
Le brave devient couard" le fort devient débile.
Dans son âme il ressent" humiliation' vergogne.
Lui qui menait jadis" hobereaux et vassaux
N’est plus même obéi" par ses valets rétifs.
Les ordres qu’il émet" ne sont plus respectés.
Le vieux seigneur envie" le serf en sa verdeur.
Le dernier des humains" jouissant de la jouvence
Mieux vaut que le premier" dégradé par les ans.
Dans l’agape joyeuse" où l’on chante et s’éjouit
Sa présence est gênante" et lui-même s’efface
Honteux de son état" malheureux de ses tares.
Les fringants chevaliers" autrefois n’aspirant
Qu’à partager sa table" afin de s’afficher
Dorénavant le fuient" essaient de l’éviter.
Le voici devenu" parmi cette jeunesse
Comme un épouvantail" en un jardin fleuri.
La bouillonnante vie" de son adolescence
Lui devient maintenant" insupportable' odieuse.
Le vœu qu’il entretient" son espérance intime
C’est de quitter enfin" le séjour des vivants
De s’endormir un soir" et ne plus s’éveiller
Ne plus voir au matin" la triomphante aurore.
Son ultime désir" et dernier réconfort
C’est de s’annihiler" rejoindre l’inconscience
Pour s’unir au Seigneur" pendant l’Éternité.

Mon ange' ô mon enfant" tenez-vous éloignée.
Ma laideur est pour vous" une offense' un affront.
Quand serai devenu" méprisable déchet
Je ne permettrai pas" que vous puissiez me voir.
Quand serai devenu" le vieillard cacochyme
Gâteux' goutteux' perclus" de maux avilissants
Qui plus ne reconnaît" ses rejetons chéris
Vous devrez' mon enfant" ne plus me visiter
Quand vous ouirez mes pas" il faudra vous enfuir.
Je ne pourrai longtemps" protéger notre clan
Face au cruel Murd’och" ennemi de nos gens
Le féroce Murd’och" l’intraitable Murd’och
Le monstre sanguinaire" assoiffé de pouvoir
Tel un autour guettant" la caille sans défense.
Murd’och' tapi là-bas" au fond de Lochleven
Le caisteal du mystère" et des enchantements.
N’est-ce pas le moment" pour vous d’élire enfin
Quelque beau chevalier" parmi vos prétendants?
Je suis faible' impuissant" tandis qu’ils sont robustes.
Mon regard las s’éteint" leurs pupilles fulgurent.
L’un d’eux pourrait sauver" notre fort menacé
Repousser en son fief" Murd’och et ses démons.
N’êtes-vous éblouie" par ces fiers équipages
Lorsque devant le hourd" ils viennent parader
Se montrant fièrement" tels héros invincibles?
N’applaudissez-vous point" leurs vaillantes prouesses?
Ne célébrez-vous point" leur magnifique ardeur?
N’êtes-vous point émue" de voir à la veillée
Lorsqu’ils ont déposé" la brillante cuirasse
Leurs membres vigoureux" pectoraux musculeux?»

Ainsi dit le seigneur" à sa fille chérie
Mais point elle n’approuve" et songe amèrement.
Par ces mots douloureux" elle répond enfin

«Que dites-vous' mon père" ô' malheur' infortune?
Quel servile destin" me suggérez-vous là?
Que ce triste projet" contrarie mon humeur.
J’affectionne soirées" mondaines réunions
D’esprits fins' raffinés" épris d’art et de lettres.
Nulle trivialité" n’y blesse bienséance.
Nulle vulgarité" n’y brise l’agrément
Des aimables propos" des entretiens charmants.
Quelle délectation" quel suprême plaisir
D’épancher tendrement" les soupirs de son âme
Pendant qu’un ménestrel" par une habile main
Sur un luth au son doux" égrène un chant sublime.
Laissez-moi préférer" plutôt que la présence
D’un maussade mari" médiocre' autoritaire
La douce compagnie" d’accortes jouvencelles.
Que peuvent bien valoir" ces chevaliers superbes
Ces rustauds' ces fats' ces vantards' ces bravaches?
Leur crâne est plus creux' las" que le heaume évidé.
Brillante est leur cuirasse" et terne leur pensée.
Leur vue courte s’arrête" au bord de la visière.
Ne suis-je qu’un appât" de chair appétissante
Pour cette mâle engeance" étourdie par le rut?
Qu’est-ce qu’un homme hélas" un être laid' grossier
Ne songeant qu’à chasser" que trousser les donzelles
S’adonnant aux jeux vils" des joutes et combats.
Nul désir élevé" ne peut le transcender
Sinon verser le sang" dispenser la souffrance
Dans la fange clouer" d’une flèche assassine
Le bel oiseau des bois" archange azuréen
Poignarder sans pitié" la biche au regard tendre
Lors qu’en mourant son œil" verse des pleurs amers.
Jamais il ne s’adonne" à l’exquise audition
Du lyrique chanteur" ou pastoral poète
Son esprit insensible" au timbre d’une flûte
N’apprécie que fanfare" annonçant le carnage»

«Ô' par le Redempteur" Kaitlin' exaucez-moi
Sans tarder choisissez" l’un de nos chevaliers
Sinon vous finirez" au donjon de Murd’och.
Vous n’entendrez alors" sempiternellement
Comme entretien galant" que le cri du hibou
Nocturne compagnon" de souffrance et d’ennui.
Le soir' vous charmera" dans l’effrayant silence
Pour champêtre concert" le carillon lugubre
Que joue' sourd musicien" le jacquemart de fer.
Si vous ne consentez" à choisir un époux
Que pourront devenir" tous ceux de ma lignée?
Rejetons sans tutelle" accablés' mortifiés.
Supporterez-vous' las" de les voir humiliés
De les savoir jetés" au fond d’une oubliette.

Kaitlin à ces mots durs" se prosterne et gémit.

«Soit' je serai l’épouse" effacée' résignée
D’un chevalier puissant" qui nous protégera.
C’est le devoir sacré" d’une fille à son père
Mais ce jour d’hyménée" cependant sachez-le
De ma nubilité" je porterai le deuil.
Pendant que festoieront" les convives joyeux
Je serai morfondue" mélancolique et triste.
Cet époux étreindra" mon corps dénué d’âme.
Pour la nuit d’hyménée" je voudrais m’enlaidir
Voir ma peau se flétrir" se couvrir de pustules
Mes jambes et mon flanc" se creuser de sillons
Car je ne veux offrir" suprême sacrilège
Ma beauté virginale" à sa laideur indigne.
C’est décidé' mon père" ici réunissez
Les prétendants choisis" fleur de chevalerie»

«C’est décidé' ma fille" ici bientôt viendront
Les prétendants choisis" fleur de chevalerie»

*

Aux abords du caisteal" depuis un mois déjà
Compagnons' artisans" préparaient le tournoi.

En prélude à l’assaut" de l’éprouve maîtresse
Les écuyers par deux" pour mimer les héros
Lors s’étaient combattus" rompant leurs piques frêles.
Des charrois surchargés" manœuvraient pesamment
Sans répit déposant" madriers et chevrons.
Des mulets et bidets" ployant sous les couffins
Ne cessaient d’apporter" barriques et denrées.
Le hourd sur pieux de pins" lentement s’édifie.
Des loges et gradins" sont montés' puis scellés.
Par des bâtons piqués" des jalons enfichés
Sont ainsi démarquées" les différentes lices.
Par les rues et chemins" hérauts' poursuivants d’armes
Criaient' s’égosillaient" nommant les chevaliers.

Puis advint le grand jour" de l’inauguration.

Les pavois armoriés" sont alignés' fixés.
Boucliers et écus" sont rangés' disposés.
De la dextre à senestre" et du chef à la pointe
Reluisent leurs métaux" leurs émaux' leurs fourrures.
Pennons jaunes et bleus" violettes banderoles
Sont dressés' déroulés" autour de la carrière.
Les fanions' étendards' les écussons' bannières
Claquent au vent marin" se lovant' s’éployant.
Les pavillons flottants" ondulent à la brise
Tels aériens serpents" qui rampent dans l’azur.
Les tartans bariolés" ornent les balustrades.
Chaque famille arbore" une trame' une maille
Treillis diffus ou net" en carreaux vifs ou mats
Croisant leurs fils serrés" de laine verte et rouge.
Dans le parc' destriers" palefrois' haquenées
Sont lustrés' sont parés" de luisantes étoffes
De harnois rutilants" d’éperons scintillants.
Les panaches noués" surmontent les toupets
Cependant que les queues" en tortis sont tressées.
Les gens simples du peuple" habillés de surcot
Sabotés ou pieds nus" la besace à la main
Se massent dans le champ" que limitent les douves.
L’on dresse une tenture" où chacun se prépare
Suzerains et vassaux" chefs des clans gaéliques.
Voilà qu’est réunie" fleur de chevalerie.
L’on installe en avant" l’estrade honorifique
Sous le mobile abri" du gonfanon tendu.
Lors solennellement" voici que se disposent
Les maréchaux de camp" les sergents de service.
Les ménestrels' patients" la trompette baissée
Depuis le point du jour" guettent l’appel fatal
Par lequel impartial" Dieu va déterminer
Victoire aux bienveillants" et mort aux malveillants.
D’un coup' tonitruant" l’intense éclat des cuivres
Jaillit dans l’atmosphère" intimant le silence.
Tous les yeux' fascinés" se tournent vers le hourd.
Les rideaux en velours" s’écartent lentement.
Le peuple émerveillé" découvre les parures
Des nobles damoiseaux" des belles damoiselles.

Cependant' sur la piste" au fond de la carrière
Les nobles chevaliers" s’avancent hardiment.

*

Voici Macload' seigneur" de Ferniehist Caisteal
Sur le cours de la Tweed" promenant ses méandres.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
De contre-vair en pointe" au pélican de gueules
Fasce vivrée d’argent" avec bande alésée.
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Fairbank aux cheveux roux" vient de Campbell Caisteal
Ténébreuse demeure" entre ses deux rivières.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
Gousset pourpre et d’azur" que les merlettes rompent
D’or au pal coticé" que chargent les besants
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Voici Lœd habitant" le Dunbarton Caisteal
Que jadis illustra" le magnanime Ossian.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
D’hermine équipolée" que chargent les tourteaux
Vairé d’or et de sable" au créquier de sinople.
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Le seigneur Stinehorn" vient de Crookston Caisteal
Fort aux larges donjons" que masquent les bocages.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
D’argent au chevron pourpre" accompagné de macles
D’azur contre-fascé" que meublent trescheurs d’or.
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

MacSilvan est venu" d’Inveraray Caisteal
Que le profond Loch Fine" en sa claire onde baigne.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
Parti sinople et sable" au fasce bretessé
Chargé de pélicans" d’alérions en argent.
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Le seigneur Macthousand" règne à Theave Caisteal
Bâti sur un îlot" de la Dee paresseuse.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
De gueules gironnées" aux vergettes en or
De bande engrelée pourpre" aux billettes cuprines
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Voici Burdean' seigneur" à Dunnotar Caisteal
Dominant la falaise" où les vagues se brisent.
Fièrement il arbore" un panache flambant.
De pourpre écartelé" par un orle orangé
De contre-vair palé" que surmonte un griffon.
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

Kenneth' le beau seigneur" vient de Scone Caisteal
Détenant en ses murs" la fatidique pierre.
Fièrement il arbore" un flamboyant panache.
Burelé de sinople" et d’or échiqueté
Barré d’azur et sable" aux colombes d’argent
Tel brille son blason" l’écusson de ses pères.

*

Un appel de fanfare" à nouveau retentit.
Sitôt les chevaliers" se disposent en lice.
Chacun devant le hourd" parade fièrement
Tâchant d’accaparer" le regard de la Dame.
L’on s’unit' se rejoint" en groupes concurrents.
L’on attaque ou défend" un invisible pont.
L’on sauve ou l’on capture" un guerrier prisonnier.
Puis la castille oppose" alternant chaque rôle
Sur de fictifs remparts" l’assiégeant' l’assiégé.
De sa lance chacun" s’efforce d’enfoncer
Bouclier' haubert ou plastron' heaume ou cimier
Prenant soin d’éviter" la fragile monture.
Les combattants à pied" dégainant leur épée
Par taille ou par estoc" s’affrontent vaillamment.

*

Dans le fond de sa loge" observant le tournoi
Kaitlin effarouchée" suit des yeux les héros
La voici qui s’adresse" à la dame d’honneur.

«Dis-moi donc' Abigail" quel est ce chevalier
Demeurant à l’écart" loin des autres seigneurs.
Son regard attachant" m’a d’un coup transpercée.
Je ne l’ai vu brandir" son épée comme tous
Non plus fanfaronner" pour attirer mon œil»
«C’est Kenneth l’ombrageux" Kenneth le solitaire
Qui n’aime partager" le repas de ses pairs»
«Mais quel est ce géant" à la face terrible
Caracolant tout près" afin que je l’admire?»
«C’est le brutal Macload" que redoutent les preux
Si puissant est son bras" que rien ne lui résiste»

«Mais rompons' je vous prie" car s’est levé mon père»

*

«Oyez' oyez' seigneurs" dames et chevaliers.
Dieu va déterminer" en sa clémence auguste
Le souverain du trône" et suzerain du fief.
Le vainqueur de l’épreuve" épousera ma fille
Kaitlin aux blanches mains" aux blondes cadenettes
Mais il devra d’abord" mater notre ennemi
Le féroce Murd’och" l’intraitable Murd’och
Le monstre sanguinaire" assoiffé de pouvoir
Tel un autour guettant" la caille sans défense
Murd’och' tapi là-bas" au fond de Lochleven
Le caisteal du mystère" et des enchantements.
Que le brave guerrier" se lève parmi vous.
Que le poltron s’efface" et renonce au tournoi.
Lequel affrontera" Murd’och' notre ennemi?»

Chacun voudrait la main" de la belle promise
Chacun pourtant médite" en pensant à Murd’och.
Tous craignent Lochleven" l’abri des maléfices
Que l’impuissante épée" ne saurait dominer.

L’intrépide Macload" seul dans le rang s’avance.
Déjà' ne se croit-il" celui qui ravira
La possession du fief" et la belle Kaitlin?
Car il sait' orgueilleux" que nul parmi ses pairs
N’oserait le braver" au péril de sa vie
Que nul parmi les preux" ne défierait Murd’och.

Voici pourtant qu’au fond" se lève un chevalier
Kenneth' le beau seigneur" agitant son pavois.

*

Voici qu’est décidé" le duel et ses rivaux.
Silencieux' les deux preux" s’éloignent à l’écart.
Chacun d’eux méditant" se prépare à l’épreuve.
Les écuyers zélés" disposent l’équipage
Fourbissent la cuirasse" étrillent la monture.
Les hérauts' les valets" apprêtent les parures.
Les maréchaux de camp" vérifient les repères
Les sergents de service" implantent les tracés
Tandis que spectateurs" gens du peuple et manants
Sont éloignés' parqués" dans les champs alentours.
Les parieurs passionnés" enregistrent les mises
Pendant que les hâbleurs" commentent les faits d’armes
Louant les courageux" moquant les recréants.

*

Kaitlin' pendant ce temps" s’interroge angoissée.
Dans son cœur débordant" s’agitent ses pensées.

«Ô" que m’arrive-t-il? Pourquoi suis-je oppressée?
Pourquoi cette langueur" cet inconnu tourment
Qui me saisit' m’emporte" et ravit ma raison?
Je sens que mon cœur bat" à coups précipités
Que ma poitrine émet" des soupirs douloureux.
Je ne puis maîtriser" l’émotion qui m’étreint
Serait-je devenue" sensible à ce galant?
Se pourrait-il' ô Dieu" que je fusse moins dure
Moins farouche à l’égard" du sexe dominant?
Mon Dieu' s’il trépassait" ne serais-je fautive
De l’avoir aguiché" par mes regards languides?
Puisque j’ai ce pouvoir" de susciter l’Amour
Ne faut-il que j’en use" afin de le sauver?
Ne faut-il maintenant" que je l’ai provoqué
Lui prêter mon secours" lui témoigner confiance.
Je dois par ma présence" aider ce chevalier
Soutenir son action" pour le Bien' pour le Beau
Que Dieu peut éveiller" en son âme loyale.
Pourrais-je endurer' las" de voir le vil Macload
Remporter la victoire" et me prendre en ses bras?
Non' je n’accepterai" cette infamie criante.
Je ne saurais survivre" à la mort de Kenneth.

S’il me donne sa vie" je lui rendrais la mienne»

*

Kenneth' pendant ce temps" s’interroge angoissé.
Dans son cœur débordant" s’agitent ses pensées.

«Bonheur inattendu" bonheur inespéré.
Chevauchant près du hourd" devant les damoiselles
J’ai vu que me suivaient" deux aimantes prunelles.
Sans doute ai-je rêvé. Non" je suis trop indigne.
Sans doute m’abusa" quelque miroitement.
Serais-je donc élu" par un être aussi noble?
Moi' l’humble chevalier" esseulé' délaissé
Mon Dieu' se pourrait-il" que je fusse choisi?
Quel rayon' quelle flamme" illuminent mon âme?
Quelle révolution" m’irradie' m’étourdit
Bouillonne dans mon cœur" bouleverse mes sens?
Quel violent cataclysme" ébranle mon esprit?
Quel souffle m’envahit" me traverse et m’emporte?
Je n’imaginais pas" telle félicité
Je ne pouvais penser" qu’un tel événement
Pût tant me transformer" changer ma destinée.
Je ressentis en moi" courage et puissance.
Pour moi son regard fut" la christique parole
Du malheur délivrant" l’enfant paralytique
L’Amour n’est-il miracle" outrepassant la foi?
C’est la charmante fée" m’éveillant à la vie.
C’est la divinité" m’apportant l’Idéal.
Ce regard' ce regard" est-ce possible' ô Dieu
Que ces dignes vertus" soient en lui concentrées
Beauté chaleureuse" élévation' pureté?
Que peuvent receler" ces beaux yeux langoureux?
Quel magique reflet" quelle intense lumière
Pâlissant le saphir" la jaize ou le diamant?
Celui qu’élit sa Dame" et qu’elle réconforte
Pour elle franchirait" océans et montagnes
Subirait cent combats... pour mourir en ses bras.
Mais comment accepter" qu’un autre les ravisse?
Las' à peine l’Amour" de sa flèche m’atteint
Me dispense bonheur" douceur' félicité
Que j’en subis douleur" désolation' malheur.

Je n’eus durant ma vie" que maux et déplaisirs.
Je fus page' écuyer" chez un brutal seigneur.
J’ai mordu la poussière" en heurtant la quintaine.
Sans répit' j’ai subi" sarcasmes et brimades.
Par mon adoubement" je devins chevalier
Mais je ne reçus point" la divine espérance.
Ni la brillante épée" ni les éperons d’or
N’ont en ce jour comblé" mon âme insatisfaite.
Point ne me ressentis" purifié par le bain.
Ni la tunique blanche" et le noir justaucorps
N’ont apaisé ma crainte" et fortifié ma foi.
La colée sur ma tempe" inhiba mon ardeur.
Je ne pus acquérir" la martiale vertu
Ni par l’exhortation" ni par la punition.
Point n’ai-je pu trouver" dans la prière austère
Le suprême idéal" qu’en vain je recherchais.
Je le vois maintenant" aveuglant mon esprit.
Comment hier' inquiet" aurais-je imaginé
Braver le fier Macload" et provoquer Murd’och?
Mon glaive toujours fut" trop pesant pour mon bras
Mais il est aujourd’hui" léger' obéissant
Comme si le portaient" les ailes d’un archange.
Hardiment sans fléchir" je saurai le brandir»

*

Cependant les héros" ont rejoint leur quartier.
Chacun d’eux posément" enfile son armure
Le gambisson de cuir" et le haubert de mailles
Le surcot ouvragé" de cendal écarlate.
Puis chacun d’eux ajuste" éperons et cuissards
Camail' brassard' plastron' guêtres et gantelets.
Chacun revêt son heaume" au cimier flamboyant.
Les voici maintenant" enfourchant leur monture.
Le fatidique instant" sans retour a sonné.
Ç’en est fait désormais" aucun ne peut s’enfuir
Même si la frayeur" le saisit aux entrailles
Si tressaillent ses mains" si flageolent ses jambes.
Seul être bienveillant" au funeste combat
Les accompagnera" le destrier fidèle.
Rabattant leur visière" ils disent la prière.

Dans le hourd cependant" se lamente Kaitlin.
«Dieu' quel tourment pour moi" de voir Kenneth en lice.
Toi' ma tendre Abigail" suis des yeux le tournoi.
Dis-moi jusqu’à l’issue" le sort des combattants
Lors que je resterai" masquée par le rideau.
Tu me verras sortir" joyeuse ou morfondue
Selon que le vainqueur" sera l’un ou bien l’autre»
De sa robe elle tire" une dague effilée
Qu’elle tient prête ainsi" dans sa tremblante main.

Un cri d’airain' soudain" pulvérise l’éther.

Les destriers puissants" l’un vers l’autre s’élancent.
Poursuivant son élan" par l’effort des montures
Le rapide galop" décuple sa vitesse.
Les combattants arqués" sur eux bloquent leur pique.
Chacun n’est plus alors" qu’aveugle mécanique.
Nul penser' nulle idée" n’occupent leur esprit
Sinon la Mort' l’Amour" fondements de la Vie.
Rien ne peut désormais" changer la destinée.
Chacun d’eux n’entend plus" résonnant en sa tête
Que le martèlement" des sabots lourds' massifs
Tels coups multipliés" de l’insensible sort.
L’atroce' intolérable" insoutenable attente
Paraît se prolonger" interminablement.
La chevauchée d’enfer" se précipite encor.
Chaque instant s’écoulant" semble une éternité
Mais la distance entre eux" diminue' s’amoindrit.
Plus que cent pas' cinquante pas' vingt' dix' horreur
Dans la foule s’élève" une immense clameur.

Le formidable choc" désarçonne Kenneth
Cependant que Macload" à la jambe est touché.
Kenneth gît sur le sol" inerte' inanimé.
Le heaume détaché" découvre son cou tendre.
L’on ne pourrait savoir" s’il est mort ou vivant.
Macload aiguillonné" progresse vers Kenneth
Mais il est retardé" par sa cuisse meurtrie.
Lors' Kenneth' lentement" recouvre sa conscience.
Dans son œil embrumé" passent des lueurs vagues
Puis à peine il distingue" une masse avançant.

Là-dessus' dans le hourd" Abigail angoissée
Réticente s’adresse" à la belle Kaitlin.
«Je ne puis vous livrer" que nouvelle attristante .
Votre chevalier' Dame" est tombé sous l’assaut
De l’effrayant Macload" que redoutent les preux.
Le voici qui s’apprête" à sectionner la gorge
Du malheureux Kenneth" gisant dans la poussière»
«Malédiction' misère" hélas' trois fois hélas.
Ma fidèle Abigail" préviens-moi sans tarder
Lorsque pénètrera" le fer en son chair tendre»
«Macload assène un coup... mais Kenneth se dérobe.
Maintenant le voici" qui dégaine son glaive
Puis il pourfend le corps" à son coup vulnérable.
Macload s’est effondré" Kenneth s’est relevé»
Kaitlin alors paraît" détournant la tenture.

«Ô Dieu' Dieu tout-puissant" quel bonheur' quel bonheur.
Peu s’en fallut' Abigail' que je ne te revisse»

*

«Ô' mon beau chevalier" sauveur de notre clan
Comment défîtes-vous" le terrible Macload?
Comment parvîntes-vous" à déjouer sa garde?»

«Ô' ma Dame adorée" séraphique merveille
C’est mon bras qui frappa" mais c’est vous qui vainquîtes
Mon cœur était rempli" d’espérance et d’amour»

«Cet amour prometteur" je ne voudrais qu’il fût
L’éphémère étincelle" étouffée par un souffle
Mais le permanent feu" ne s’éteignant jamais»

«Cet amour prometteur" n’est bluette inconstante
Mais flamme persistante" allumée pour toujours.
Plus que braises dans l’âtre" elle brûle en mon cœur»

«J’apporterai Beauté" j’apporterai Noblesse
Dans la triste laideur" nous minant ici-bas.
Je serai pour vous l’ange" illuminant votre âme»

«J’apporterai ma Foi" j’apporterai ma Force
Pour que rien ici-bas" ne puisse vous souiller.
Je serai le gardien" protégeant votre vie»

«Toujours par la pensée" vous accompagnerai
Lorsque vous douterez" dans la fatale épreuve
Lorsque vous faiblirez" sous les coups ennemis»

«Toujours en mon esprit" votre image verrai
Sur les chemins terreux" les sillages marins
Jusqu’à mon dernier pas" jusqu’à mon dernier souffle»

«Sans peur vous lutterez" pour le Bien' pour le Juste
Vous défendrez l’enfant" la femme et le vieillard.
Nul propos discourtois" ne dira votre bouche»

«Sans peur je lutterai" pour le Bien' pour le Juste.
Je défendrai l’enfant" la femme et le vieillard.
Ma bouche n’emettra" nul propos discourtois»

«De mes cheveux dorés" conservez cette mèche
Dans un écrin d’argent" ciselé de mon nom.
Toujours le sentirez" à votre col fixé»

«De vos cheveux lustrés" mèche conserverai
Dans un écrin d’argent" à votre nom gravé.
Toujours la sentirai" sur mon cœur palpitant»

Ainsi le chevalier" sa Dame rencontra
Dans l’antique salon" de haute lisse orné
Puis sans tarder partit" vers Lochleven maudit.

*
Lors que marchait Kenneth" par les Highlands bossus
Dans son cœur débordant" s’agitaient ses pensées.

«Ô' splendeur' absolue transcendance' ô merveille.
Ce joyau que je vis" est-il humain' divin
Réelle créature" ou faisceau de rayons?
La voir' la voir' de si près' de si près sentir
Son haleine embaumée" caresser mon visage.
Plus que devant Macload" j’ai tremblé devant elle.

Ô' comment se peut-il" qu’être aussi parfait vive
Parmi le vil troupeau" des indignes humains.
D’où viennent ces cheveux" ces prunelles sublimes
Ce poignet' cette main" si fins' si délicats
Cette hanche et ce pied" si charmant' si mignards
Sinon de l’Eunoé" du Monde Supérieur.
Son image adorée" me transporte au-delà
Des communes passions" des sentiments triviaux.
Je ne vis qu’au travers" de sa virtuelle image.
Lorsqu’en moi j’imagine" ébloui dans l’éther
Son visage radieux" son regard lumineux
Je me sens transformé" je me sens transporté.
Sa chair est l’enveloppe" où transparaît son âme
Le tangible reflet" de son essence intime.
Près d’elle tout paraît" dérisoire et futile
Pauvre' indigent' vulgaire" insignifiant et vain.

Comment pourrais-je oser" moi' l’être abject' grossier
Toucher cet ange pur" issu du Paradis?
Pourrais-je tolérer" qu’en sa couche de soie
J’étende ma carcasse" inélégante et fruste
Pour souiller sa beauté" m’épancher en elle
Comme un vandale pille" un religieux trésor?
Comment pourrais-je' horreur" avec ma bien-aimée
Celle que je vénère" ainsi qu’une déesse
Perpétrer l’acte laid" grotesque et ridicule
Par lequel hyménée" doit être consommée?
Non' je n’accepterai" cette profanation.
Non' jamais de ma vie" je ne l’approcherai
Jamais ne salirai" sa beauté virginale.

Je suis corps et esprit" désunis' séparés
Bestial agglomérat" de parties opposées
Tandis qu’elle est fusion" des entités contraires
Subtile incarnation" des Idées supérieures.
Son âme délivrée" des penchants négatifs
Compose une harmonie" parfaite' indissociable
Tandis que règne en moi" l’angoisse et l’inquiétude
L’anarchie des pulsions" du primitif instinct.
Je ne sais qui je suis" ni même si j’existe.
Suis-je un sphinx' une énigme" impossible à saisir
Qui ne se peut lui-même" élucider' comprendre?
Ma personnalité" n’a pas de consistance.
La stagnante pensée" croupit en mon cerveau
Telle une eau délétère" infecte et répugnante.
Suis-je un mauvais acteur" un comédien truqué
Des rôles empruntant" l’infini répertoire?
Sentiments' réactions" tour à tour en moi passent.
Je suis comme l’auberge" accueillant chaque jour
Les voyageurs divers" que le monde contient
Les uns loyaux' féaux" les autres faux' matois.

Elle est Finalité" je ne suis que Moyen.
Je ne puis m’affirmer" qu’en invoquant son nom.
Je suis le bras' l’épée" l’Action' la Volonté
Le génie créateur" l’inventeur' l’ingénieur
Tandis qu’elle est Valeur" Idéal' hypostase.
Je suis l’Imperfection" je suis l’Incomplétude
Le Vecteur qui transmet" la Force qui soumet
Tandis qu’elle est Modèle" et Réalisation.
Je ne puis que survivre" en m’oubliant moi-même.
Peu m’importe à présent" la mort et les épreuves.
J’attaquerai demain" Lochleven le maudit»

*

C’est ainsi que songeait" le chevalier Kenneth
Menant son destrier" sur le chemin du loch.
Dans les Highlands bossus" le jour s’évanouissait
Quand' sur une saillie" surgit une silhouette.
Belzébuth survenant" fut moins épouvantable
Que cette apparition" funèbre et ténébreuse.

«Viens me chercher là-haut" dans ma tour si tu l’oses.
Chien' vermisseau rampant" du poltron MacFarlane.
Sache que nul humain" ne ressortit vivant
Hors du château hanté" dont je suis le seigneur»
«Je m’y rendrai bientôt" Murd’och' pour ton malheur.
Que tremblent tes lamies" et crains pour ta survie»

Le cavalier' d’un coup" détala dans la nuit.

*

Près de son destrier" le chevalier dormait
Lorsqu’il fut réveillé" par une étrange voix
Dans la nuit marmonnant" de latines formules.
«Qui va là?» cria-t-il" saisissant une torche.
Parut de la ténèbre" un être monstrueux
Vieille femme avachie" tassée' voûtée' nouée
Dont la gibbosité" paraissait effrayante.
Sa face abominable" était parcheminée
Tavelée' ravagée" de verrues' d’orgelets
Parcourue de sillons" de rides et crevasses.
Tel un piton pointu" sur un mont désolé
Se détachait son nez" aux narines poilues.
Ses petits yeux perçants" luisaient dans leurs orbites
Sous l’arc ébouriffé" des sourcils broussailleux.
Sa tignasse jaunie" tombait sur la chair flasque
De son épaule ossue" décharnée' déformée.
Par sa bouche édentée" ces mots enfin sortirent

«Ce qu’au bas monde suis" ne saurait t’importer?
Sorcière' enchanteresse" ou bien devineresse.
Veux-tu savoir le sort" qui t’est promis demain?
Je puis te révéler" ton prochain avenir.
Faux' fourbes et vénaux" tous égaux sont les hommes.
Pour diriger leurs pas" tous ont besoin de moi.
Pape ou bien malandrin" seigneur ou bien croquant.
Hahahahahaha. Hahahahahaha.
Suis-moi' vil chevalier" au fond de ma tanière
Le vieux moulin ruineux" qui me sert de manoir»

La masure apparut" dans un repli du val.
Dans cet empilement" cet enchevêtrement
Point d’élément' fragment" qui ne fût délabré
Point de portion' moellon" qui ne fût dégradé
Charpente aux ais rompus" chaume ouvert' défoncé
Décrépite* façade" aux briques écailleuses
Fenêtres vermoulues" aux ferrements rouillés.
L’on devinait dans l’ombre" une roue gigantesque
Dont les aubes figées" n’entraînaient plus de meule
Comme si l’eut saisie" l’inexorable Mort
Liant tout mouvement" tout fluide écoulement
Toute vigueur' toute énergie' vitalité.
Soudainement un jour" sa course avait cessé
Quand se tarit jadis" le bief qui l’animait.
Son moyeu pourrissait" après qu’il eut tourné
Milliers' millions de fois" sans jamais s’enrayer
Milliers' millions de fois" sans jamais s’arrêter.

De lui-même s’ouvrit" le portail arraché
Comme s’il était mu" par d’occultes puissances.
La vacillante porte" émit un grincement.
Le vent' d’un coup violent" après eux la ferma.
C’est alors qu’un chat noir" dans leurs jambes jaillit.
Ne tressaillit Kenneth" ni tira son épée.
L’immense pièce oblongue" était jonchée d’objets
Biscornus' inquiétants" singuliers ou bizarres
Des ramas et rebuts" débris et détritus
Qu’à peine on devinait" massés dans la pénombre.
Sur le mur opposé" la cheminée s’ouvrait.
Le brasier rougeoyait" au fond de l’âtre obscur
Tel en son antre noir" l’esprit de Lucifer.
De compactes nuées" flottaient dans l’air impur.
Des mofettes soufrées" pesamment s’élampaient.
Le haut plafond souillé" de suie pulvérulente
Semblait s’approfondir" jusqu’à l’astrale voûte.
Sur le sol inégal" traînaient des immondices
Que dévoraient cafards" cancrelats et carabes.
Dans les carreaux de grès" l’on pouvait discerner
Les traces déposées" par des pattes lupines.
Par l’ébrasure ouverte" au fond de la masure
Kenneth crut deviner" des bêtes camouflées
Mais il ne tressaillit" ni brandit son épée.
L’on voyait luire au fond" l’énigmatique boule
Q’un rayon sélénien" de reflets animait.

«Mon fier seigneur' dis-moi" d’où sont venus tes pas»
Dis-moi pour quel dessein" tu presses ta monture
«Scone' éminent château" me vit enfant grandir.
Je m’en vais guerroyer" contre Murd’och l’infâme
Le féroce Murd’och" l’intraitable Murd’och
Le monstre sanguinaire" assoiffé de pouvoir
Tel un autour guettant" la caille sans défense.
Murd’och' tapi là-bas" au fond de Lochleven
Le caisteal du mystère" et des enchantements.
Je suis le chevalier" de la Dame Kaitlin.
Je lui serai toujours" loyal et prévenant.
Toujours demeurerai" fidèle à son amour»
«Hahahahahaha. Hahahahahaha.
Ma boule magique' ô" dévoile sans pitié
Les sentiments enfouis" de ce cœur amoureux
Montre-moi ce que vaut" ce chevalier trop beau»
Kenneth lors tressaillit" et sa tête baissa.
«Dévoile-moi ses peurs" ses frayeurs' ses passions.
Démasque-moi sans fard" sa face véritable.
Suis le méandre obscur" de son âme ondoyante...

Voici donc' vil seigneur" ta réelle nature.
Si ton bras est puissant" bien faible est ton esprit.
Le désir de la chair" soumet ta volonté.
La pulsion te gouverne" avec l’instinct vulgaire
Tandis qu’au moindre obstacle" abdique ta raison.
Ton amour n’est qu’un leurre" un commode prétexte.
Le premier cotillon" que tu rencontreras
Lui deviendra fatal" et sera son tombeau.
Hahahahahaha. Hahahahahaha»
Lors tressaillit Kenneth" et sa tête baissa.
Brusquement la sorcière" éleva ses deux poings
«Satanas Te implor Doamne" Te implor
Satanas' Asa sa fie. Acum. Acum' Acum»
Satanas Te implor Doamne" Te implor»
Kenneth frémit' trembla" tout son corps s’agita.
Ses bras se démenaient" ses jambes flageolaient.
Sa bouche s’étirait" sa peau se hérissait
Comme si les démons" en lui se déchaînaient
Honteux et humiliés" qu’on les eût découverts.
Sa bouche proférait" des onomatopées
Des propos dépourvus" de signification
Comme si remontait" le vice en lui caché.
«Satanas Te implor Doamne" Te implor
Satanas' Asa sa fie. Acum. Acum' Acum»
Lors Kenneth se calma" sombra dans l’inconscience
Cathartique pulsion" cataleptique état
Secoué' traversé" de convulsions' de spasmes
Paroxysmique transe" et tension délirante.
Puis il fut envahi" de visions fantastiques
Fourmillant et grouillant" d’horribles créatures
De monstres écailleux" plumeux ou bien velus
Dragons ailés' scorpions ventrus' guivres cornues
Licornes affublées" d’appendices griffus
Noirs alérions pourvus" de léonine tête
Catins déshabillées" chevauchant des poissons
Revêches diablotins" enfourchant des pigeons.
Des amants forniquaient" dans une bulle en verre.
Des cadavres jaunis" pourrissaient dans la vase.
Dans le feu d’un brasier" chaloupaient des squelettes...
Puis un nuage sombre" emporta les démons.

Lorsqu’il se réveilla" ces mots il entendit.
«Vil chevalier' voilà" médecine à ton mal
Capable d’inhiber" ta volage nature
Cet anneau merveilleux" au magique pouvoir.
Celle qui portera" cette bague envoûtante
Conservera toujours" son amant aliéné.
Toi-même il te faudra" l’enfiler à son doigt.

*

«Depuis l’aube ahanons" dans ce désert pays.
Vers l’horizon lointain" n’apparaît nul château
Qui nous proposerait" besogne pour nos bras.
Las' devrons-nous manger" les racines des joncs.
Las' devrons-nous dormir" sous le dais noir des cieux.
Depuis l’aube ahanons" sur les rocs anguleux.
Ma fille' épaule-moi" les ans m’ont accablée.
C’est toi qui me soutient" pendant que je te guide
Car je ne puis marcher" lors que tu ne peux voir.
Chacune possédant" le don qui manque à l’autre
Parvient à compenser" la triste insuffisance
De l’indigne vieillesse" ou bien de la Nature»

«Pourquoi suis-je ainsi née" telle emmurée vivante
Condamnée pour toujours" dans ma geôle invisible.
Sans jamais s’éclaircir" la nuit toujours m’habite
La nuit' la nuit profonde" insondable' étouffante
L’épouvantable nuit" l’intolérable nuit
La continuelle nuit" la perpétuelle nuit.
Les parfums et les sons" ne constituent pour moi
Que vagues perceptions" confus' diffus repères
D’un bizarre univers" énigmatique' étrange.
Que suis-je pour moi-même" une vapeur' une ombre
Faisceau de sensations" croisement de pensées
Flottant sans consistance" et privé d’apparence
Dans l’Indéterminé" l’Incertain' l’Indistinct?
Jamais jusqu’à la mort" jusqu’à mon dernier souffle
Je ne pourrai savoir" ce qu’on nomme couleur
Ce que sont les reflets" scintillations' luisances.
Meilleur est le destin" plus heureuse la vie
De l’horrible crapaud" du venimeux serpent
Car dans leur infortune" ils possèdent la vue
Ce don miraculeux" ce présent merveilleux
Qu’en sa clémence Dieu" fit aux êtres abjects.

L’espace d’un instant" voir' voir... et puis mourir.

Seigneur' infligez-moi" douleurs' terreurs' malheurs
Si vous me permettez" la vue de mes tourments
Voir le fer me percer" la verge m’écorcher
Voir le sang de mes plaies" s’écouler sur le sol.
Pourquoi moi seule aveugle" au milieu des voyants?
Mon âme est ingénue" jamais ne fis le Mal.
Pourquoi cette injustice" et pourquoi ce martyre?
Pourquoi dois-je endurer" cet infini supplice?
Ma pauvre mère hélas" pourquoi fîtes-tu naître
Cette enfant dont les yeux" jamais ne s’ouvriront?

Las' qu’est mon existence" uniforme' insipide?
Je loue mes deux mains" pour filer ou tisser
De châteaux en châteaux" sans jamais de répit.
Je manie la quenouille" ou maintiens le fuseau
Ne tâtant que le fil" des écheveaux laineux.
La paume endolorie" de mouvoir le rouet
Depuis l’aube j’entends" pour unique romance
Le ronronnement sourd" d’un objet insensible.
Pourquoi' las' promener" sur la face du monde
Nos pas errants sans but? Pourquoi vivre toujours?
Point ne voulons mourir" et ne savons pourquoi.
C’est le mystère humain" qui ne se peut comprendre.
Que vienne enfin pour moi" le fatidique instant.
Le cœur léger' comblée" je pourrai sans regret
Quitter la vie sans jour" pour la nuit de ma tombe»

*

«Mais" qui vient par ici. Pourquoi ces cliquetis»
«Ne rêves-tu pas? Non" je ne vois rien' ma fille»
«Pourtant je les entends. Voilà qu’ils se rapprochent»
«Mon Dieu' là-bas' au loin" de monstrueuses formes.
Des brigands brandissant" poignard et cimeterre.
Ciel' nous serons volées" capturées' égorgées.
Qui viendrait nous sauver" en ces mornes parages?
Prions pour notre vie» «Prions qu’ils nous achèvent.
Plutôt mourir d’un coup" sous la dague acérée
Que gémir longuement" par la griffe des ans»
«Mais que se passe-t-il? Voilà qu’ils se retournent.
Voilà que fond sur eux" un cavalier fringant.
Tous devant lui s’enfuient" terrifiés' affolés.

Voici le destrier" qui s’avance vers nous»

«Je suis le chevalier" venu pour vous servir
Kenneth' le défenseur" de la belle Kaitlin»

«C’est Dieu qui vous envoie. Comment vous remercier
Je suis Paige' et voici" Hollie' ma chère enfant.
Ma pauvre fille et moi" nous sommes roturières.
Je vous prie d’excuser" nos habits déparés.
De châteaux en châteaux" nous louons nos deux mains
Pour tisser ou carder" filer ou dessuinter»
«La noblesse en vos traits" semble inscrite' imprégnée.
La gouaille des marauds" n’entache vos propos.
Mais pourquoi votre fille" à la belle frimousse
Fixe continûment" un point à l’horizon?»
«La malheureuse enfant" de naissance est aveugle»

Dès qu’elle eut dit ces mots" des pleurs dégringolèrent
Sur les joues de Hollie" sans pouvoir s’arrêter.
Le Chevalier en lui" sent remuer son cœur.

«Pardonnez-lui' Seigneur" cette brusque effusion»
«Mère' ô décrivez-moi" le noble chevalier»
«Sa face resplendit" comme un soleil radieux.
Son regard chaleureux" enveloppe et séduit.
Sa démarche élégante" évoque l’harmonie»
«Pourrais-je vous toucher" beau chevalier Kenneth?»
«Mon enfant' touchez-moi" puisque vous ne voyez.
Pourtant ne croyez point" cet élogieux portrait.
Louer votre beauté" ne me revient-il pas?
Châtains sont vos cheveux" et votre peau liliale.
Délicats sont vos doigts" fines sont vos épaules.
Ne ressemblez-vous pas" à la Fille des Bois?
Des éphélides roux" parsèment votre face
Tel sur une reinette" un semis de macules.
Votre bouche à la fraise" emprunte sa couleur.
Vos bruns iris foncés" paraissent des noisettes.
Les accrocs malséants" de vos indignes frusques
Dévoilent au grand jour" votre corps magnifique.
C’est ainsi qu’apparaît" le diamant en sa gangue.
Vos yeux vous condamnant" à la nuit uniforme
Ne voient le monde vil" mais au-delà contemplent
Celui des séraphins" qui volent dans l’éther.
Depuis ma tendre enfance" et mon adolescence
J’étais moins qu’un aveugle" errant sur les chemins
Car Amour en mon cœur" point n’avait pénétré...»
«Ne m’abandonnez pas" ne m’abandonnez pas.
Vous êtes mon soleil" que je n’ai jamais vu
L’irradiant candélabre" éclairant mes ténèbres
L’inaccessible port" dont je n’osais rêver.
Ne m’abandonnez pas" ne m’abandonnez pas.
Ma pauvre mère et moi" ne pouvons plus survivre.
Je vous en conjure' ô" généreux chevalier
Trouvez-nous sans tarder" un asile accueillant»
«Kaitlin aux blonds cheveux" ma Dame charitable
Voudra bien vous garder" à Tantallon Caisteal.
De la part de Kenneth" faites-lui parvenir
Cet anneau merveilleux" au magique pouvoir.
Celle qui portera" cette bague à son doigt
Conservera toujours" son amant aliéné.

*

Ainsi la jouvencelle" avec sa vieille mère
Se dirige angoissée" vers Tantallon Caisteal.
Dans son cœur elle craint" de rencontrer Kaitlin.
Morose' elle médite" en suivant son chemin.

«Je redoute' ô Jésus" d’affronter en ce jour
Cette femme inconnue" cette heureuse rivale.
Sera-t-elle ennemie? Pourrait-ce être une amie?
Que ne puis-je moi-même" enfiler cet anneau?
Rien ne m’empêcherait" d’accomplir cette action.
Rien qu’un geste' un seul geste" et je serais sauvée.
Ce geste suffirait" pour que d’un coup je passe
Du plus noir désespoir" au plus grand des bonheurs.
Kenneth m’appartiendrait" me serait aliéné
Car le magique effet" le détournerait d’elle
Pour l’attirer vers moi" sans qu’il ne réagisse.
Las' je dois apporter" l’amour à ma rivale
Qui me condamnera" d’une rancœur injuste.
Je subirai les maux" de supplices cruels
Ma faute c’est d’aimer" celui qu’elle chérit.
N’est-il mission plus dure" et plus terrible épreuve?»

*

Lors cheminait Kenneth" le hardi chevalier
Quand devant lui parut" le rivage du loch.
Le fort se discernait" dans le brouillard lointain.
Son approche semblait" inabordable et vaine.
C’est alors que survint" un esquif sans rameur
Comme une concrétion" curieuse' énigmatique.
La barque dérivant" dans la crique s’accoste.
Le chevalier surpris" s’interroge' incrédule.
«Qui la poussa? la brise" ou quelque étrange force ?
M’est-elle envoyée là" par le Diable ou par Dieu?»
La frêle embarcation" lui paraît effrayante.
N’est-elle pas agent" du capricieux Destin
Signe prémonitoire" annonçant un malheur?
Tout semblait signifier" quelqu’avertissement.
De spectrales pâleurs" nimbaient les rochers nus.
La diffuse lumière" inondant les objets
Devenait irréelle" et fantasmagorique.
Le silence était lourd" pesante l’atmosphère.
Venimeuse la vague" et les brisants cruels.
D’invisibles dangers" de latentes menaces
Transparaissaient' cachés" dans l’épaisseur des nues.
Pourtant le chevalier" s’embarqua dans l’esquif
Puis rama lentement" vers l’horizon blafard.

Le brouillard' dense' épais" l’environnait partout.
L’on aurait dit' couvrant" la surface uniforme
D’un répugnant démon" la suffocante haleine.
Ses volutes légers" ses puissants tourbillons
Glissaient' coulaient' descendaient' montaient' fusionnaient
S’enflant' se dilatant' s’élampant' s’étirant
Langoureux' cauteleux' doucereux' fallacieux.
Lui-même constituait" sa limite et sa borne
Rétrécissant le monde" en sa prison mobile
Que pourtant nul rempart" ne semblait circonscrire.
Tout se fondait' se confondait' s’engloutissait
Dans son fluide magma" son évanescent flot
Son filet invisible" aux aériennes mailles
Compact' impalpable' intangible' impénétrable
Protéiforme' ubiquitaire' omniprésent
Figeant tout mouvement" effaçant toute forme
Noyant toute matière" élément' tout repère
Comme si l’Univers" l’immense Création
Devait en son plasma" disparaître à jamais
Se délayer' se dissiper' s’évaporer
Diluée' dissoute' annihilée' néantisée.
Dragons' serpents ailés' fées' spectres ou démons
Semblaient dissimulés" par cet écran magique.
D’où pouvaient émaner" ces vapeurs maléfiques
Souillant limpidités" en diaphanéités
Corrompant transparence" en grise opacité
Sinon du hideux antre" où songe Lucifer?

Kenneth longtemps vogua" sur l’onde silencieuse
Quand il crut discerner" séraphique' angélique
De nulle part venu" comme s’il émanait
D’une région céleste" au milieu des nuées
L’étrange litanie" d’un cantique sacré.
Le chevalier se crut" parvenu dans l’Eden
Mais le chant s’évanouit" en rumeur assourdie.
C’est alors que le vent" souleva les panaches
Comme par un décret" des occultes puissances.
Le brouillard s’entrouvrit" une masse apparut
Lochleven le Caisteal" monstrueux' effrayant..

*

L’inexpugnable fort" se dressait en son île
Tel un abrupt piton" sculpté par les tempêtes.
La brume tour à tour" estompait' dévoilait
Son donjon' ses remparts" ses toits' ses passerelles
Comme si lentement" se métamorphosait
Par le magique effet" d’un charme énigmatique
Sa vaste architecture" élevée dans les airs.
L’on eût dit le ballet" que dans les nues guidait
Quelque fée camouflée" de sa preste baguette.
Ses tours sont des épées" déchirant l’atmosphère
Ses merlons et créneaux" sont de célestes scies
Découpant le brouillard" de leurs pointes aiguës.
Son ossature énorme" au rocher se marie.
Furoncle tellurique" édifié dans les cieux
Pustule formidable" érigée dans l’éther
C’est le fort que bâtit" Belzébuth l’indompté
Le palais que rêva" Satan le malveillant.
C’est l’antre imaginé" par Méphistophélès.
Dieu' le considérant" lui-même en eût frémi.
Les anges virginaux" par mégarde égarés
Le découvrant soudain" se fussent évanouis.

Lochleven' c’est le Mal" c’est la terreur' l’angoisse
La mort qui partout rôde" au fond des encoignures
Se tapit dans les murs" s’enfouit sous les parquets.
Lochleven' c’est la peur" c’est l’effroi' c’est l’horreur
Les rats déchiquetant" les cadavres des princes
Les araignées suçant" l’humeur des preux défunts.
Lochleven' c’est le gîte" habité par les grées
Le repaire infernal" des lamies et des goules
Farfadets et lutins" succubes et incubes.
Dans son dédale obscur" de seuils' de vestibules
D’excavations' d’escaliers' paliers' corridors
L’Épouvante saisit" l’esprit du visiteur
Qui de sa vie jamais" ne reverra le jour.
Chaque moellon' chaque degré' chaque poutre et solive
Semblait suer la crainte" exsuder la frayeur.
Ses portails lourds en bronze" aux grinçantes paumelles
Pivotent sur les gonds" sinistrement poussés
Par d’invisibles doigts" par de spectrales mains
Remontés nuitamment" de la Gehenne horrible.
Dans les douves s’étale" une onde infecte et glauque.
Dans le malsain fossé" croassent des crapauds
Qui dégorgent leur bave" empoisonnée' glaireuse.
Des lamproies camouflées" dans les profondeurs noires
Parasitent leur proie" ingurgitent leur sang.
Les noirs mâchicoulis" sont englués de poix
Lors des sièges versée" contre les attaquants.
Ses tortueux couloirs" sillonnent sa carcasse
Tels galeries forées" par de géants lombrics.
De profonds souterrains" s’immiscent dans sa motte.
Ses cordages et liens" sont des nœuds ophidiens.
Ses torches sont dragons" crachant leurs vives flammes.
L’infrangible réseau" de ses herses baissées
Tel un filet d’airain" perfidement se dresse.
Les courants d’air glaciaux" traversent les passages.
Les rayons du soleil" coulant timidement
Par l’orifice étroit" des hautes barbacanes
Vaincus' décolorés' désubstantialisés
Ne peuvent éclaircir" les profondes ténèbres
Qui règnent tout le jour" dans les pièces lugubres.
Ses tours sont ébréchées" par le fer des guisarmes
Ses fortifications" tailladées' entaillées
Par les pics des fléaux" framées et javelots.
Ses murs sont éraflés" par les vouges et dagues.
Ses plafonds sont criblés" par les angons' flamberges.
Ses tapis sont tachés" par les éclaboussures
Des sanglantes mêlées" des atroces carnages.
Salon' chambre' antichambre" il n’est salle en ce lieu
Qui ne recèle piège" ou fourbe traquenard
Croc' lacet dissimulé' trappe dérobée.
Des couperets pointus" au bord des baldaquins
Tombent soudainement" sur le preux endormi
Prolongeant son repos" en éternel sommeil
Dans l’inoffensif lit" devenu catafalque.
Sur le dais ouvragé" se dressent des couteaux
Convertissant le trône" en funeste cathèdre.
Les faméliques chats" au ténébreux pelage
De leur pas silencieux" rôdent sur les toitures.
Des squelettes moisis" ricanent dans les fosses
D’un sardonien rictus" hilarité cynique.
Les bataillons de vers" nourris de noble carne
Fourmillent dans le sol" où dorment les cadavres
D’imprudents chevaliers" de guerriers téméraires.
Les têtes sectionnées" par les hallebardiers
Suintant sous les parquets" s’entassent dans les combles.
Des scarabées ventrus" sur la tomette grouillent.
Des guivres engourdies" sous les coffrets hibernent.
Des serpents venimeux" se glissent dans les fentes.
Bouche affamée guettant" ses victimes humaines
La funeste oubliette" offre à l’œil effaré
Son immonde béance" épouvantable' atroce.
Les caves sont cachots" renfermant' ligotés
Les héros devenus" dépouilles décharnées.
Les celliers sont dortoirs" où les chauves-souris
Suspendues la journée" dorment sous les solives
Pour s’éveiller le soir" tels avides vampires.

Des spectres menaçants" cognaient les portes closes.
Des fantômes blafards" ululaient dans le vent
Traversaient les parois" en brandissant des chaînes.
Lorsque tombait la nuit" les pesantes armures
Hantées par les seigneurs" que salit un affront
Semblaient soudainement" s’animer' se mouvoir.
L’on entendait leurs pas" sur le chemin de ronde...
Puis ils disparaissaient" aux lueurs de l’aurore.

Ainsi paraît le fort" au chevalier Kenneth.
Lors son esprit s’alarme" et son courage fuit.

*

«Ô' combat illusoire" ô' vain duel insensé.
N’ai-je mésestimé" le pouvoir de Murd’och?
N’ai-je surestimé" la vigueur de mon bras?

Que peut un pauvre humain" contre les maléfices?
Que peut faible raison" contre sorcellerie?
N’est-ce pour un modeste" et simple gentilhomme
Téméraire aventure" inconsciente bravade
Que de vouloir tenter" l’impossible prouesse?
Je sens trembler mon corps" mes jambes flageoler.
N’est-ce l’instinct puissant" de la conservation
Réaction bénéfique" et salutaire effet
Qui lie ma volonté" pétrifie mon courage
Me défend de risquer" ma propre intégrité?
Que ne suis-je tombé" sous les coups de Macload
Si je dois succomber" par la magie des spectres?

Ô' honte à moi' que dis-je' indigne chevalier
Misérable poltron" pusillanime esprit
Seigneur déshonoré" sans fierté' sans noblesse.
Pourrais-je ainsi paraître" aux yeux de mon amante
Si je ne puis mater" l’ennemi qui la guette?
Pourrais-je ainsi prétendre" à sa main si j’abdique?
Pourrais-je m’accepter" et continuer de vivre
Le front bas empourpré" d’un renoncement lâche?
Pourrais-je tolérer" ma capitulation?
Que vaut mon existence" et que vaut ma passion?
Sans Kaitlin que serais-je" une ombre' un mort vivant
Se lamentant sans but" par les chemins du monde?
Sa beauté supérieure" insuffle en moi puissance
Dans mon esprit induit" courage et volonté.
J’attaquerai le fort" sans jamais reculer.
Murd’och sera vaincu" par mon bras infaillible»

*

Dun pas serein Kenneth" s’approcha de la douve.

L’eau glauque paraissait" comme du plomb fondu
Que ne pouvait rider" l’océanique brise.
Le pont-levis dressé" fermait le seuil du fort.
Ne devait-il chercher" l’anfractuosité
Masquant un orifice" ouvert dans la muraille
Quelque poterne étroite" à la grille rouillée
Qu’il pourrait desceller" tordre ou bien écarter?
Prudemment il marcha" sur le bord du fossé
Puis bientôt s’enhardit" jusqu’au milieu de l’onde.
Nul écueil' nul danger" n’entravait son avance.
La boue lui paraissait" douce' huileuse' onctueuse
Voluptueusement" oignant ses membres las
Mais son corps s’enlisait" imperceptiblement.
La fange asservissait" toutes ses facultés
Ligotait sa conscience" endormait son esprit.
Même il se complaisait" dans cette léthargie.
Le miasme dégoûtant" répugnant' repoussant
Lui paraissait alors" supportable' agréable.
Dans la bourbe sans fond" il se fût englouti
Ne pouvant ni bouger" ni penser' ni sentir
Si n’était revenu" pour le sauvegarder
Le souvenir aimé" de la belle Kaitlin.
Songeant à la noblesse" épanchée par son œil
La fange lui parut" détestable' exécrable.
C’est alors' courageux" qu’il put se dégager
De la vase tira" ses mains' ses pieds' son corps.

Libéré de l’étreinte" il poursuivit sa marche
Lorsqu’il sentit passer" un courant dans ses jambes.
L’onde semblait franchir" le rempart du château.
Pour la suivre il devait" plonger dans l’eau croupie
Vaincre l’appréhension" de l’étrange contact
Supporter l’impur flot" perfide' imprévisible
Se jeter' s’immerger" malgré cette mouvance.
Le courant l’emporta" vers une galerie.
Dans le boyau nageant" il franchit la muraille.
Lors' il parvint' surpris" au fond d’un étroit puits
Qu’il put escalader" s’agrippant aux moellons.
Kenneth se retrouva" dans un corridor sombre.
Les torches grésillant" au long du mur scellées
Confusément versaient" leurs sinistres lueurs.
Longtemps le chevalier" parcourut le bastion
Gravissant' descendant" les degrés et les rampes
Franchissant' explorant" les tunnels et passages
Lorsque soudainement" une porte apparut
Dont les battants ouverts" paraissaient l’inviter.

D’un pas serein Kenneth" vers le seuil avança.

*

Dès qu’il eut pénétré" son œil fut aveuglé
Par un lumineux flot" de couleurs chatoyantes.

Rubis' diamants' jais' saphirs' béryls' améthystes
Brillaient' flamboyaient" resplendissaient' fulguraient
De tous côtés jetant" leurs étincellements.
Bagues et pent-à-col" broches et pendentifs
Lingots' écus' chaînettes et colliers' fermails
Couronnes enchâssées" diadèmes emperlés
S’étalaient' s’empilaient' se mêlaient' fusionnaient
Dans un ruissellement" d’opalescentes gemmes.
Parmi les pierreries" aux feux purs' irradiants
Reluisait humblement" la nacre avec l’ivoire.
Les coffrets' les goussets" les boîtiers et les bourses
Débordaient' regorgeaient" tels cornes d’abondance.
Livres entrebaîllés" parchemins déroulés
Montraient les pigments vifs" de leurs enluminures.
Sur les pages partout s’étalaient" fleurissaient
Luxuriants entrelacs" de lettrine historiée
Décors filigranés" rinceaux de vignetures
Qui grimpaient sur le texte" ainsi que pariétales
Sublime profusion" de l’art calligraphique.
L’or et l’argent partout" souverains' despotiques
Rivalisaient d’éclats" de reflets irisés
Comme rayon solaire" et lueur sélénienne.
Ces joyaux ignorés" semblaient n’avoir connu
La fête éblouissante" orgueil des cours princières
Mais se morfondaient là" délaissés' dédaignés
Comme en un cachot triste" un érudit génial
Dont la pensée croupit" au lieu de s’épanouir.
De répugnants cafards" vaguaient obscènement
Parmi les péridots" miroitant' rutilant.
Sur le vif taffetas" l’araignée sans respect
Tissait négligemment" sa toile misérable.
Des crucifix gemmés" des chapelets sertis
Voisinaient les témoins" de la mondanité
Cynisme ou dévotion" vice ou vénération?
Regrettable fusion" de l’art et de la foi?
Surpassement sublime" ou coupable impiété?
L’on eût dit' révélée" miraculeusement
La grotte camouflée" d’un receleur bandit
Le cabinet secret" d’un riche avaricieux.
L’on ne pouvait savoir" d’où ces trésors venaient
Si leur entassement" n’était le bénéfice
D’injuste imposition" de pillages sordides
Si les avaient produits" odieuse ou vertueux
La vile obstination" de trafics illégaux
L’opiniâtre labeur" d’un licite commerce.
N’était-ce la passion" le délire insensé
D’un maniaque jouisseur" d’un concupiscent prince
Contemplant son magot" solitaire et jaloux?
Ces merveilleux bijoux" s’offraient au visiteur
Suscitant convoitise" envie' cupidité.
L’on aurait pu sans risque" en ravir à poignées.

Kenneth les admira" mais point ne les toucha.

*

Le chevalier gagna" l’étage supérieur.
Des chambres s’alignaient" suivant un long couloir.

D’un pas serein Kenneth" pénétra dans chacune.

Il découvrit alors" de nobles jouvencelles
Demi-nues ou parées" de houppelandes vives
De mantels en letice" ou pélissons fourrés
Tuniques en brunette" écarlate ou futaine.
Des banoliers en lin" serraient leur taille fine.
Certaines arboraient" des coiffes à cornettes
Chaperon' capuchon" guimpe ou chapeau d’estrain.
Certaines dévêtues" flânaient en bracerolle
Dormaient ou sommeillaient" sur de soyeux coussins.
Toutes étaient pourvues" de bijoux scintillants
Colliers et bracelets" ferrets et pectoraux
Les cheveux longs nattés" liés ou déliés' noués
Blonds' auburn ou bien roux' châtain' bruns ou bien noirs
Qu’adornaient des rubans" aux teintes coruscantes.
Leur pâle carnation" variait du lis au gypse.
Leurs iris déclinaient" le radieux arc-en-ciel
Bleu vif ou bleu pastel" gris clair ou marron sombre.
Le son clair de leur voix" aux tendres inflexions
Doux' chantant' chaleureux" envoûtait' séduisait.

Toutes possédaient grâce" et charme supérieurs
Féminines splendeurs" sublimités vivantes
Charnelles perfections" divines créatures
Que l’imagination" ne saurait concevoir
Que nulle création" ne pourrait surpasser
Ni la truite ondulant" dans le torrent fougueux
Ni le faon tacheté" l’oiseau-lyre ocellé
Ni le chat mystérieux" ni le superbe lion
Ni la conque moirée" le diamant enchâssé
Ni le chêne puissant" orgueil de la forêt
Ni l’onde et ni l’azur" ni l’éther' ni la mer
Ni le pic enneigé" la côte ensoleillée
Ni la constellation" brillant au firmament.
Toutes représentaient" la beauté polymorphe
Comme la mélodie" que varie le harpiste
Renouvelée toujours" et jamais identique.
Chacune lui semblait" différente et semblable
De sa Dame Kaitlin" image multiforme.

Kenneth les admira" mais point ne les toucha.

Puis Kenneth visita" les chambres successives.
Là' des filles s’offraient" allongées sur des lits
Baîllant leur amigaut" ou retroussant leur chainse
Pour dévoiler un sein" dénuder une jambe.
Toutes rivalisant" d’impudiques postures
Fièrement exhibaient" leurs défraîchis atours
La gorge qui pendait" le ventre qui tombait.
Les chairs flétries' bouffies" les peaux tannées' ridées
Provoquaient le dégoût" suscitaient répulsion.
Toutes lui dispensant" des œillades perverses
Tâchaient de l’aguicher" l’attirer' l’enjôler.

Kenneth s’en détourna" pour n’être pas souillé.

*

Le chevalier reprit" sa pérégrination
De salles en couloirs" de halls en galeries.
Comme il ne parvenait" à situer le donjon
Vers une meurtrière" il approcha la tête.
Son regard découvrit" l’arsenal défensif.
Tour angulaire et guet" poivrière' échauguette
Châtelet' tour à bec" et tour chaperonnée
Se dressaient' réunis" par le puissant rempart
Des rampes crénelées" redans' chemins de ronde
Que rythmaient parapets" bretèches et archières.
L’imprenable donjon" dominait les faîtages
Comme un immense cou" s’enfonçant dans les cieux.
Pour joindre l’escalier" qui menait au sommet
Kenneth suivit le bord" et longa les travées.
Le chevalier gagna" les combles ténébreux
Quand il fut alerté" par un étrange bruit.
Des pas cassants' pesants" cognaient sur le parquet
D’un martèlement sourd" continu' régulier.

Kenneth' l’esprit serein" monta résolument.

Son regard s’infiltra" par l’énorme charpente
Les piliers de refend" et les poteaux cormiers
Les arbalétriers" les chevêtres et moises
Qui partout s’érigeaient" s’intriquaient' se croisaient
Comme une arborescence" une forêt magique
Dont les fûts' dont les troncs" étaient poutres et pannes
Les branches et rameaux" poinçons' chevrons' lambourdes.
Le bruit de pas cessa - Le silence régna
Durant un long moment" insupportable' atroce.
Lors Kenneth s’avança. Les pas recommencèrent.
Puis Kenneth s’arrêta. L’ombre alors s’arrêta.
Lors Kenneth s’avança. L’ombre alors s’éloigna.
Dans l’entrecroisement" des bâillons' des étais
Son regard aperçut" une masse inquiétante.
Ne tressaillit Kenneth" ni tira son épée.
L’ombre alors s’engagea" dans le comble suivant.
Lors Kenneth s’engagea" dans le comble suivant.
L’ombre alors s’engagea" dans le comble suivant.
Lors Kenneth s’engagea" dans le comble suivant.
Puis l’ombre disparut" dans le dernier réduit.
Lors Kenneth la suivit" dans le dernier réduit.
Là' seule une lucarne" offrait une échappée
Dont l’ovale béant" s’ouvrait au firmament.
L’ombre alors se figea" puis soudain se gonfla.
D’un pas déterminé" Kenneth la rejoignit.
L’ombre alors s’engagea" dans l’étroite lucarne.
Kenneth vit clairement" des ailes s’entrouvrir.

Le grand duc* ululant" s’envola dans la nuit.

*

Devant le chevalier" se dressait le donjon
Le cœur' ultime cache" où se terrait Murd’och.

D’un pas serein' Kenneth" en gravit l’escalier.

Rien ne peut ralentir" sa marche interminable
Dont le terme est fixé" depuis l’Éternité.
Le voici qui franchit" un par un les degrés.
Plus que vingt' plus que dix" plus que cinq... le dernier.

À travers les créneaux" d’un coup... les cieux' l’espace

L’uniforme étendue" la forêt' le rivage.
Là-bas' là-bas au loin" Murd’och' Murd’och fuyant.

Apaisé' rassuré" le chevalier médite.
Sa tranquille prunelle" embrasse l’horizon.
Le terroir gaélique" offre à lui sa grandeur
L’Écosse tailladée" par les couloirs des firths
Hérissée de rochers" percée' forée de lochs
Divisée' désunie" pareille aux clans celtiques
L’Écosse' ultime terre" aux confins de l’Europe
L’Écosse ignorée' solitaire' énigmatique
Des Highlands aux Lowlands" et là-bas' tout là-bas
Dans l’océan perdues" les Hébrides sauvages
Raz' caps déchiquetés" récifs nus' désolés.

Kenneth songe à Murd’och" le terrible Murd’och.
Celui dont le seul nom" provoquait l’épouvante
Ne représente plus" qu’un poltron s’enfuyant.
Le chevalier exulte" épanoui' rayonnant.
Le vent de l’océan" soulève ses cheveux
Se gonfle sa poitrine" et s’enflent ses narines.
C’est la vie retrouvée. L’épreuve est accomplie.
Soumis' reconnaissant" de ses mains il caresse
L’étui que lui donna" Kaitlin aux tresses blondes.
«Bénie sois-tu' mon ange" ô' toi qui m’inspiras.
Tu me donne victoire" et me donne espérance»

*

«Le chevalier Kenneth" en votre fort m’envoie
Pour que je vous remette" un anneau de sa part.
Ma vieille mère et moi" lui devons notre vie»

«Je reconnais bien là" sa générosité.
Sa grandeur' son courage' et son intégrité.
Que pourrais-je accorder" pour exaucer vos souhaits?»

«Ma pauvre mère infirme" est au bout de ses forces.
Longtemps elle a souffert" sur les chemins d’Écosse.
Je demande pour elle" un asile en vos terres»

«Point ne refuserai. Désormais votre mère
Plus ne s’éreintera" sur les chemins d’Écosse
Je concède pour elle" un asile en mes terres»

«Mais je me donne à vous" pour subir mon calvaire
Le crime est en mon âme" et c’est d’aimer Kenneth
Le noble chevalier" dont vous êtes la Dame»

«Donnez-moi votre main" belle enfant malheureuse.
Vous serez ma compagne" et ma fille d’honneur.
Vos tourments' vos tracas" bientôt verront leur fin»

«Je ne puis de mes yeux" contempler votre face
Mais je sais que Beauté" réside en votre chair.
Je sais que Majesté" s’épanouit en votre âme»

«Je vois que la noblesse" imprègne vos traits purs.
Je vois que la douceur" habite en votre corps
Je sens que la Bonté" fleurit en votre cœur»

«Noble Dame' approchez" avancez près de moi
Que j’enfile au doigt fin" de votre main si blanche
Cet anneau merveilleux" qui vous rendra Kenneth»

À Tantallon Caisteal" que lèche l’Océan
Dans l’antique salon" de haute lice orné
Kaitlin ainsi reçut" la jouvencelle aveugle.


* décrépite licence poétique pour décrépie
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* grand duc L’idée du grand duc simulant un personnage est tiré d’un roman pour enfants
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La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007