HYPATHIE

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant le meurtre d'Hypathie par la foule excitée par les Patriarches à Alexandrie.


De ses doigts' Hypathie" la philosophe grecque
Souleva le voilage" obturant la portière
Mais elle eut un sursaut" puis relâcha l’étoffe.

Dans la voie canopique" où roulait son carrosse
L’on eût dit se pressant" des Grées' des Canidies
Foule aux visages durs" qui trépignait' criait
«Qu’on traîne l’insoumis" l’ennemi de Jésus»
Qu’on traîne les païens" jusqu’à l’autel chrétien»

Lors que Rome tombait" sous les coups d’Alaric
La faste Alexandrie" membre d’un corps sans tête
Sombrait dans l’anarchie" s’enlisait dans les troubles.
Quand Ptolémée Sôter" à la mort fut livré
Commença l’insidieuse" et longue décadence.
Le Sénat et l’armée" s’étaient pourris' larvés.
Brigues des favoris" intrigues des factions
Rivalités' complots" à la cour des Lagides
Corruptions' perversions" des marchands' diéocètes
Réduisaient' abaissaient" l’hégémonie des princes.
Le pillage entraîné" par les malversations
De l’épistolographe" et de l’archidicaste
Menaçait' laminait" l’équilibre des comptes.
Le véreux sitologue" en sa huche déviant
Le raisin des cuviers" et blés des apothèques
L’ idiologue imposant" les capitaux privés
Le douteux alabarque" en sa propre escarcelle
Détournant les deniers" des revenus douaniers
Les coteries sapant" les sommités auliques
Sans rémission grevaient" le Trésor anémié.
L’immonde boucherie" des mirmillons indignes
Remplissait de clameurs" les théâtres bondés
Parmi les hurlements" de jouissance malsaine
Pendant que dans Canope" où triomphait le vice
Le giton' le cinède" en robe tarentine
Dansaient grotesquement" sous les voiles des barques.
Puis brusquement un jour" l’émeute avait brisé
Le pouvoir démuni" la morale épuisée
Débris déliquescents" d’un monde à l’agonie.
L’impuissante cité" ne pouvait maîtriser
L’agitation' la sédition' l’insurrection.
Lors' du quartier Delta" jusqu’aux ergastérions
Les Juifs envahissaient" tous les secteurs païens
Les Arabes vainqueurs" attaquaient les sanctuaires
Dans leurs pas détruisant" les statues' les sculptures.
Dans leurs temples cernés" par les bandes chrétiennes
Les prêtres s’enfermaient" au fond des adytons.
Les colosses rongés" par la vermine humaine
Sous le poids des gravats" s’éteignaient silencieux.
Les dieux hier aimés" aujourd’hui rejetés
Gisaient dans les monceaux" de leurs temples ruinés.
Poursuivis' pourchassés" le thiase et le collège
Se trouvaient remplacés" par la congrégation
Les polymites vifs" par les étoffes ternes
Les uræus dorés" par la croix des sépulcres
Les faunes enjoués" par les saints douloureux
La charmante Psyché" par le maussade Christ
Que l’épine couronne" au lieu de myrte en fleurs.

Soudain se ranimaient" les rancunes tenaces
Contre les colons grecs" les résidents romains.
Par la culture hellène" humiliées trop longtemps
Les brutales pulsions" partout se libéraient
Pour étancher leur soif" de vengeance et de haine.
Les violentes passions" qui restaient contenues
D’un seul coup relâchées" en plein jour éclataient.
Le pacte chancelant" des castes et des classes
Brusquement se rompait" dans le conflit social.
De l’inconscient tréfonds" montaient les sentiments
Qu’éveillait l’atavisme" antique témoignage
Des épreuves passées" des lointaines tendances.
Le mystique délire" agitait chaque esprit
Torturé' tourmenté" par l’Énigme du Monde.
Les femmes emportées" par l’aveugle hystérie
Déclamaient vers les cieux" des plaintes prophétiques.
L’on eût cru survenue" la Fin de l’Univers.
Glacés' tous attendaient" l’Apocalypse ultime
Qu’aux pécheurs augura" jadis l’Apôtre Jean
«Soudain résonnera" dans les cieux déchaînés
Merveilleux' victorieux" le cor du septième ange
Qui dira' haranguant" les peuples en démence
"Le Temps ne sera plus" car en ce dernier jour
Se manifestera" le Mystère éternel"
Puis il décimera" d’une colonne en feu
La race des Maudits" engendrée par Caïn»
L’on tremblait pour la vie" de l’engeance future.
Sans répit certains' sourds" psalmodiaient leurs cantiques
Jusqu’à l’épuisement" et jusqu’à l’agonie
Psitassique rituel" risible' insignifiant.
Certains pour Jéhovah" se donnaient en offrande.
Les faux miraculés" montraient leur guérison.
De magiques visions" troublaient des jouvencelles
Que la foule adorait" pareilles à la Vierge.
Les tragiques martyrs" s’immolaient par le feu.
L’on rencontrait partout" les orants décharnés
Qui se laissaient mourir" de soif' d’inanition.
Dans le peuple excité" l’on aurait alors dit
Que nul esprit humain" n’eut conservé raison.

Les chrétiens victorieux" ce jour épagomène
S’étaient réunis tous" au cri des Patriarches
Pour s’acharner encor" sur les païens vaincus.
La célèbre Hypathie" présidant le Musée
La métaphysicienne" et mathématicienne
Découvrait' horrifiée" la foule fanatique.
Sa villa' son école" étaient brisées' rasées
Mais elle voulait joindre" avant leur destruction
Les salles préservées" de la Bibliothèque.
Dans un cryptoportique" elle transférerait
Les meilleurs documents" les célèbres écrits.
Dès lors en ce lieu sûr" ils se conserveraient
Loin des révolutions" loin des conflits civils
Pareils à la momie" dans l’hypogée profond.

«Mort aux païens' maudits" soient les traîtres à Dieu.
Qu’on traîne l’Insoumis. Qu’on traîne les idoles.
Mort à l’intelligence" et mort à la Beauté.
Mort aux païens' maudits" soient les traîtres à Dieu.
Qu’on traîne l’Insoumis. Qu’on traîne les idoles.
Mort à l’intelligence" et mort à la Beauté.
Mort aux païens' bannis" soient les traîtres à Dieu.
Qu’on traîne les païens" jusqu’à l’autel chrétien»

Le peuple en trépignant" répétait les formules
Que pendant les sermons" leur enseignaient les prêtres.
Déjà l’on entendait" les marteaux sur le marbre.

Alors elle voulut" haranguer les passants
Leur dévoiler enfin" les idées qu’ils refusent
Leur dénoncer la Bible" ainsi que l’Évangile
Par la démonstration" de la philosophie.
«Mais à quoi bon cela" rien ne les peut convaincre.
Subjugués par la foi" par la révélation
Nulle argumentation" ne les raisonnerait.
Nos opinions' discours" sont désormais contraires.
Moins encor ne pouvons" nous comprendre' échanger
Que stryge et clair alcyon" confrontés ne le peuvent»
Lors elle s’engonça" jusqu’au fond du carrosse
Pour n’entendre ces voix" pour ne plus voir ces faces
Puis demeura plongée" dans sa méditation.

«Mort aux païens' bannis" soient les traîtres à Dieu»

«Vous massacrez' vous détruisez' vous réduisez
Pour que vive demain" l’Amour et la Pitié.
L’ombre du vil Aton" en vous tous ressurgit
Le honteux pharaon" l’indigne iconoclaste.
Votre secte eut jadis" il est vrai ses martyrs
Mais envers les bourreaux" vous affirmiez si fort
Ne concevoir de haine" et de ressentiment
Répondre Bien pour Mal" et prière à l’injure.
Pourtant vous faites pis" vous dites pis encor.

Souvenez-vous alors" de cet empereur juste.
Cet homme supérieur" incarnait la vertu.
Pour toutes religions" il avait accordé
Précieuse liberté" par vos lois abolie
Puis il avait grandi" Rome par vous brisée
Mais d’un pernicieux trait" vous l’avez abattu.
C’était le nouveau phare" et vous l’avez éteint
Car lui seul dénonçait" l’ineptie de la Bible
Car il montrait la voie" de Lumière et Beauté.
Hargneusement enfin" vous avez blasphémé
Pour toujours sa mémoire" en vos textes ignobles
Souillé son effigie" rayé toute inscription
Rappelant sa clémence" et votre assassinat.
Vous l’avez humilié" déshonoré' sali.
Comment vous pardonner? Las" comment oublier?

Vous dites respecter" mieux que tous vos semblables
Mais vit-on plus que vous" zélateurs fanatiques?
Vous savez dégrader" beaucoup mieux que les autres
Supprimer' saccager" contraindre les consciences.
La conversion forcée" mime l’apostasie.
Le chrétien pur Valens" de ses cruautés suit
Les atroces folies" du vil païen Galba.

Las' vous entretenez" par votre absolu culte
L’assujetissement" des ignorantes masses.
Vous les contraignez tous" de prier à genoux.
L’obéissance est loi" dans votre insensé dogme.
Les fidèles jadis" pouvaient librement croire
Voilà qu’un livre saint" dicte la Vérité.
Vous ne pratiquez plus" de saintes hécatombes
Pourtant vous immolez" des peuples à vos rites.
Vous n’adorez de roi" d’empereur' de Grand Pontife
Mais aux pieds du Seigneur" vous traînez les humains.
Vous inculquez' vous imposez' catéchisez.
Las' je le reconnais" vous êtes passés maîtres
Dans l’art de bien flatter" la bêtise commune.
Toujours vous exploitez" la tendance grégaire
Le viscéral instinct" du peuple ignoble' immonde
Qui fond tête baissée" vers toute fausse idée.
L’on doit en convenir" vous êtes inventeurs
De la démagogie" religieuse et mystique.
Nicias' Cléon n’étaient" qu’apprentis maladroits.

Aux peuples ingénus" vous racontez vos fables.
Vous les terrorisez" par l’Enfer' le Péché
Puis vous les séduisez" par la Grâce divine.
Vous les illusionnez" par votre Paradis.
Qui pourrait affirmer" que l’âme est immortelle?
Quand passent les années" pourtant pareille au corps
Vous la voyez vieillir" lentement décliner
Parfois n’est-elle pas" morte bien avant lui?

Nul païen pour un dieu" comme vous n’a de crainte
Pourtant vous dénoncez" notre superstition.
Le miracle toujours" en vos textes fleurit
Plus généreusement" qu’en nos pages épiques.
Chez vous l’idolâtrie" dépasse la mesure.
Crédulité de même" atteint le paroxysme.
Rien ne fut plus baisé" que ne sont vos reliques.
Jamais on ne connut" depuis que vous régnez
Plus de magie' de résurrections' guérisons.
Vous croyez que les corps" même décomposés
Par un enchantement" bientôt se recomposent.
Le temps futur jamais" ne fut plus transparent
Que dans les creux discours" de vos douteux Prophètes
Les vaticinations" de vos suspects rabii.
Notre Esculape abdique" ainsi que la Pythie.
Devant un sybilliste" un duumvir s’incline.

Ce qui dans la Nature" est négatif' malsain
Vil' odieux' répugnant" sans frein vous en jouissez.
Vous en êtes alors" vénérateurs' apôtres.
Vous brisez' ternissez" les choses positives
Tout ce qui sur la Terre" est aimable ou charmant.
De ce qui diminue" vous êtes les émules.
Vous êtes partisans" de tout ce qui déprave.
Tout quand vous êtes là" devient triste et lugubre.
Vous bâtissez vos nefs" de nos temples détruits.
Dans les pierriers déserts" votre ciseau transforme
La dryade gracieuse" en affreuse gargouille
L’édifice léger" en lourde construction
Demeure où la nuit règne" où Phœbus ne pénètre.
Votre culte est morbide" et votre foi macabre.
L’on peut voir un cadavre" au fond de vos églises.
Vous êtes vils' puérils" vous êtes laids' grincheux.
Vous haïssez le Jour. Vous haïssez la Science.
Vous haïssez le Beau. Vous haïssez la Femme
La Grandeur' la Pureté' la Volupté' l’Art.
Vous souillez' salissez" tout ce que vous touchez.
Vous salissez le Monde" et salissez la Vie.
L’on respirait jadis" on étouffe aujourd’hui.
Vous êtes contempteurs" censeurs' dépréciateurs.
Vous êtes soupçonneux" envieux' mielleux' jaloux.
Vous tuez tout plaisir. Vous tuez toute joie.
Vous dites condamner" l’orgueil des souverains
Mais c’est que vous aimez" l’humiliation' la honte.
Vous prétendez blâmer" l’égoïsme des Riches
Mais c’est que vous aimez" la misère et le deuil.
La charité pour vous" peut bannir le malheur
Mais vous l’entretenez" mais vous le perpétuez.
Votre philosophie" c’est la résignation.
La douleur vous enivre" et l’abjection vous grise.
Votre dogme imposant" totale obéissance
N’est que foi de manant" que religion d’esclave.
N’éprouvant la fierté" ne sentant la vergogne
Vous restez confinés" dans souffrance' affliction.
Vous recherchez toujours" soumission' pauvreté.
Vous croyez dénoncer" partout l’épicurisme
Pour tomber' complaisants" dans le pur masochisme.
Vous honnissez' vous haïssez' vous détestez
Ce qui peut rayonner" ce qui peut sublimer
Ce qui peut s’élever" ce qui peut anoblir.
Mais qu’est-il ce dieu lâche" en vérité qu’est-il
Ce dieu sourd et muet" primant sur les principes?
Las" je l’ai démasqué. Ce n’est que le Néant
Le Néant' le Néant" le Néant absolu
Négation des valeurs" négation de la Vie.
Ce que vous recherchez" ce que vous désirez
C’est la dissolution" de la conscience humaine.
Jamais vous ne saurez" ce qu’est notre Idéal.
Jamais vous ne verrez" dans l’éther lumineux
De nos divinités" le visage irradiant
Les Charites planer" dans l’Empyrée céleste.
Non' vous ne vibrez pas" au charme des Piérides.
Vous ne frémissez pas" aux parfums de Nysa.
Pour vos sentiments bas" le Parnasse est trop haut
Pour vos ténébreux yeux" trop vive est sa clarté.

Nulle interrogation" n’éveille scepticisme
Dans vos cerveaux butés" suffisants' primitifs.
"Nous savons" dites-vous "la seule Vérité.
L’on ne doit pas douter" car c’est blasphémer Dieu"
Mais votre certitude" occulte l’ignorance.
Pendant plus de mille ans" songez que sans répit
Questionnant' mesurant" les nombres et figures
Considérant la Vie" disséquant les organes
Scrutant le firmament" observant la Nature
Nous avons déchiffré" l’énigme du Réel.
Par la Géométrie" l’expérimentation
Nous avons compris' déduit' calculé' montré
Que la Terre est sphérique" ainsi que le Soleil.
Nous avons mesuré" la surface du globe
Conçu' prévu l’atome" et ses combinaisons
De même découvert" la cause du rayon.
Nous avons plus encore" inventé l’engrenage
Construit l’aéronaute" enfin l’éolypile.
Sans jamais renoncer" nous avons parcouru
Les difficiles voies" de la métaphysique
Réfléchi sur l’éthique" établi des systèmes...
Cependant nous savons" notre culture infime
Devant l’immensité" l’énormité de l’Être.
Mais comme les enfants" répétant leurs syllabes
Vous dites savoir tout" comprendre l’Univers
L’Esprit' la Matière et la Vie' le corps et l’âme
Puisque tout selon vous" se trouve dans un mot.
Peut-on s’imaginer" comme vous l’affirmez
Que Dieu créa le Monde" en six jours seulement?
Le soleil' dites-vous" est pur' immatériel
Car selon vous ceci" n’est pas allégorique.

Et vous intellectuels" qui d’un coup découvrîtes
Sans doute impressionnés" par l’esprit de l’époque
La valeur d’une foi" quand elle est imposée
Qui fûtes les suiveurs" et non les précurseurs
Vos élucubrations" vos zèles bien tardifs
Saisissant des rabbii" le relais vermoulu
Masquent d’un faux vernis" votre ignorance vraie.
Girouettes orientées" par le vent populaire
Marionnettes aux fils" par la foule tirés
L’on vous reconnaît tous" par le portrait d’un seul
Philon voulant unir" les entités contraires
Le fielleux Athanase" et l’inculte Origène
Stupidement dressant" le Fils contre son Père
Le vil Eusèbe entre eux" ne sachant que choisir
Clément' cet aboyeur" contre la science antique.
Par le prestige imbu" de fausse érudition.
Vous croyez sublimer" votre pensée primaire
Pourtant votre fouillis" de rhétorique abtruse
Prenant finalité" comme démonstration
Ne fait que mieux prouver" l’ineptie de vos dogmes.
Quand parfois vous daignez" répondre à nos questions
Pourquoi malgré Yahvé" le Mal se manifeste
Pourquoi protégea-t-il" en un lieu bénéfique
Les deux premiers humains" purs et ingénus
S’il devait les chasser" de ce terrèque Eden
C’est alors qu’opposant" un insensé discours
Vous semblez ignorer" tout probant argument.
Vous dites au mépris" de la moindre logique
"C’est l’éternel Mystère" impossible à percer.
Le Seigneur ne doit pas" de justification"

Vous êtes maintenant" devenus les seuls maîtres.
La civilisation" va-t-elle sans recours
Dans cette Barbarie" disparaître à jamais
Rejoindre l’animal" qui jadis l’engendra?
Possiblement un jour" le Génie fleurira.
L’Homme répudiera" le tyrannique dieu.
L’école sera pleine" et vides les églises.
Retrouvant l’Harmonie" les villes à nouveau
De fresques pareront" leurs monuments grandioses.
Les humains sont changeants" le destin capricieux
La vérité ce jour" demain sera mensonge»

Un soudain hurlement" qui montait sur la Voie
Dans le bruit des corbeaux" des linteaux s’effondrant
Suspendit brusquement" le songe d’Hypathie
«Mort aux païens' honnis" soient les traîtres à Dieu.
Mort aux païens' bannis" soient les traîtres à Dieu»

«Ce troupeau vil fuirait" en voyant un syntagme.
Qu’êtes-vous devenus" combattants héroïques
Vous' hoplites fougueux" et phalanges zélées
Valeureuses légions" et glorieux manipules.
Qu’êtes-vous devenus" stratèges et consuls
Vous' Miltiade' Alexandre" et vous Scipion' César?»

Au dehors cependant" la fureur s’amplifiait
«Mort aux païens' honnis" soient les traîtres à Dieu.
Mort aux païens' bannis" soient les traîtres à Dieu»

Une pierre atteignant" l’avant de l’attelage
Ramena la savante" au présent douloureux.
«La païenne à mort' l’incroyante à mort' à mort.
Qu’on la traîne à l’autel. Qu’on la massacre" à mort»

«La religion chrétienne" est tromperie' mirage.
La religion chrétienne" est envie' jalousie.
La religion chrétienne" est laideur' abjection.
La religion chrétienne" est Mal' perversion' vice»

«La païenne à mort' l’incroyante à mort' à mort.
Qu’on la traîne à l’autel. Qu’on la massacre" à mort»

Elle comprit soudain" que sa fin survenait.

Alors dans son peplos" d’un geste imperceptible
Sa main preste saisit" un minuscule objet
Que vite elle porta" vers ses tremblantes lèvres.

Son égyptienne enfance" en elle transparut
Les courses dans la ville" immense' éblouissante
Rêveries' flâneries" devant les périboles
Pendant que vers Pharos" îlot paradisiaque
Là-bas elle voyait" comme écrivit Homère
Le Vieux Nérée surgir" de la marine plaine
Parmi le gracieux chœur" de ses filles divines.
Puis en elle apparut" la ville d’Érechthée
La célèbre cité" qui l’accueillit jadis.
Là' dans l’Académie" chargée de son passé
Toujours l’on entendait" la voix du grand Platon.
Sous les chênes sacrés" dans le parc du Lycée
L’on devinait encor" les pas du Stagyrite.

Les galets à nouveau" tombaient sur le carrosse.
«La païenne à mort' l’insoumise à mort' à mort»
L’on devait maintenant" parvenir au Musée.
Mais est-il encor temps" pour sauver les ouvrages?
Prudemment son regard" se risqua sur la Voie.
Partout régnaient désordre" anarchie' confusion.
L’on ne distinguait plus" superbement dressée
La colonne en gabbro" dans le Serapeum
Ni près de l’Héraïon" les arcs de Cléopâtre
Ni le Sébastéïon" les pins de l’Hermésion.
L’humaine barbarie" n’avait pas de limites.
Les religieux furieux" ne pouvaient se calmer.
Dans les rues encombrées" par les débris épars
De tous côtés gisaient" ramas de chairs et pierres.
Divine Alexandrie" jadis rêve sublime
Ville dorée' perle du Monde ancien' merveille
De rigueur égyptienne" et de grâce hellénique
Transcendées' magnifiées" par la grandeur latine
Reine élue par Isis" choisie par les Dioscures
Splendide Alexandrie" maintenant charnier' ruine.

Bientôt parut le seuil" de la Bibliothèque.
Là' sur la gauche' horreur" des flammes s’élevaient.
Les moines s’affairaient" gesticulant' criant.
Leurs doigts crochus serraient" des parchemins froissés.
L’on voyait à jamais" disparaître au néant
Ces pages renfermant" l’Intelligence humaine
Physique et Poésie" Rhétorique et Grammaire
Zoologie' Tragédie' Comédie' Morale...
Vingt siècles révolus" de civilisation
Q’une fumée stérile" emporte en un seul jour.
Devant tous ces trésors" devenus cendres noires
Tel infernal démon" de l’absurde holocauste
L’on pouvait distinguer" un évèque en soutane
Déclamant un sermont «Tout-puissant Dieu" Jésus
Que le feu purifie" les œuvres du Malin»

Hypathie vacilla. Son visage pâlit
Puis un pleur douloureux" contre sa joue brilla.

Dans sa pensée grandit" l’image du Musée
Que maintenant ses pas" ne fouleraient jamais.
Tour à tour elle vit" en un brouillard lointain
Les salons de lecture" et cabinets de science
Tables d’anatomie" stalles d’observation
Que gérait Hérophile" étudiant sans répit
Végétaux' animaux" saisis par Philadelphe.
Puis elle vit encor" là-haut sur les terrasses
Le dôme où Ptolémée" déchiffrait le cosmos
L’exèdre où l’on venait" pour entendre les thèses
Les vastes galeries" les casiers des ouvrages
Cahiers' rouleaux' feuillets" volumes et codices
Qu’avaient signés hier" d’illustrissimes noms
Polémon' Denys de Milet' Virgile' Horace
Callimaque' Hipparque et Lysimaque' Apulée
Démétrios' Appolonios' Bion' Théocrite.
Leurs titres familiers" passaient en sa mémoire
«L’Odyssée» l’«Hécatée» le «Banquet des Sophistes»
«De rerum natura» «L’Éthique à Nicomaque»
«Timée» Le «Grand Diascome» et les «Métamorphoses»...
Puis elle ressentit" la nostalgie des soirs
Dans la salle radieuse" à la fraîche atmosphère
Que troublait seulement" le son clair des calames.
Son œil parfois errait" fatigué de l’ouvrage
Sur les pentes fleuries" du Paneum voisin
Qui dominait l’Ascra" pareil au Val des Muses.
Parfois elle fixait" au sommet du grand Phare
La sauveuse clarté" combattant les ténèbres
Pour les nautes perdus" pareille à ce Musée
Guidant l’esprit confus" dans la nuit Ignorance.

Brusquement un rictus" imprégna son visage
Puis elle retomba" le front sur la banquette
L’œil vitreux sans regard" et le souffle coupé.

L’attelage bloqué" par la foule en délire
Dut se rabattre au bord" de la Voie canopique.
Dès lors on aurait dit" que la fureur du monde
Se fut à ce moment" centrée sur le carrosse.
Les roues sont arrachées" les moyeux sont cassés
Les portes enfoncées" le toit démantelé.
Sur le siège apparut" un corps pâle' immobile
Dont la main refermée" tenait un flacon vide.
Mais abomination" les religieux déments
Promènent dans la boue" le cadavre sanglant.
Voici qu’il est bientôt" morcelé' démembré.
De la belle Hypathie" maintenant il ne reste...
Qu’un tas charnel hideux" en un flot écarlate.

*

C’est alors qu’au sommet" d’un clocher protégé
Dans une baie se fige" une ombre terrifiante.
C’était le Supérieur" de tous les Patriarches
Le pourfendeur' la terreur des païens' Cyrille.
Son visage était morne" et sa bouche crispée.
Ses lèvres émaciées" paraissaient les ventaux
Fermant une prison" qui jamais ne s’ouvrait.
Ne serait-il inouï" qu’un rire en pût sortir?
Depuis sa prime enfance" il était confiné
Dans les contritions' les mortifications' jeûnes
Jour et nuit abruti" par les bénédictions.
Reclus dans la pénombre" il avait le teint pâle
D’un cadavre cireux" d’une momie livide
Les yeux ternes cernés" au long des lucernaires
Le front couperosé' les traits convulsés' durs.
Ses prunelles d’un coup" sinistrement brillèrent.
Tout venait d’aboutir" selon sa volonté.
Ses moines vertueux" l’avaient bien secondé.
Le Mal était vaincu. Dieu maintenant régnait.
Sûr d’avoir accompli" son devoir de chrétien
Grave' il considérait" la dépouille en lambeaux
Car c’était le symbole" insoutenable image
De ce qu’il haïssait" de ce qu’il exécrait
La Science et la Beauté" l’Art et l’Intelligence
La grandeur s’opposant" à la servilité.
Sinistre' il contemplait" sa ville ravagée.
Les superbes frontons" les statues élégantes
Pour Yahvé constituaient" l’impardonable offense.
L’on devait arracher" la malsaine racine
Du plaisir insouciant" de la joie' du bonheur.
L’on devait abaisser" tout ce qui s’élevait
Devant le Tout-Puissant" mettre à genoux le Monde.
Quelquefois il rêvait" de lugubres sanctuaires
Dont les immenses nefs" monteraient vers l’Unique
Temples aux parois nues" sans représentations
Qui pussent détourner" l’esprit de sa ferveur.

Le doute l’envahit" durant un court instant...
Mais il chassa bientôt" cette pensée mauvaise.

Un carillon vainqueur" soudainement hurla
Comme un glas signifiant" la fin du monde ancien.
Le Phare à l’horizon" lentement s’éteignit.
Le soleil s’abîmait" dans l’obscur Océan.
Le rouge crépuscule" inondait l’Occident
Comme si Dieu jaloux" du lumineux Phœbos
L’avait au fond du Ciel" assassiné soudain
Laissant l’Humanité" pour toujours dans la nuit
De la haine éternelle" et de la barbarie.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007