LE GERMAL

Poème épique de Claude Ferrandeix qui évoque la naissance de Rome en mêlant légende et Histoire.


Sur le bord d’un coteau" se profile un village
Misérables maisons" d’argile et de roseau
Qui se pressent dans l’ombre" au milieu des pins grêles.
Vers le bourg qu’envahit" la broussaille sauvage
Comme des avenues" deux chemins se rejoignent
Dont le croisement forme" un exigu forum.

De rustiques tribus" vivent dans ce hameau
Des bergers au teint clair" aux yeux bleus' vifs' profonds.
Rien ne les intimide" et rien ne les effraie
Sauf les numina' dieux" sans forme et sans visage.
Leurs oracles traçant" un carré dans le ciel
Prédisent l’avenir" au vol des hirondelles.
D’où peuvent-ils venir? Aucun d’eux ne le sait
Depuis qu’ils ont trouvé" ce tertre au bord d’un fleuve
Quand Numitor enfant" s’enfuit d’Albe-très-longue.
Sans doute leurs aïeux" jadis ont délaissé
Les rivages d’Ionie" puis de la Mer Égée
Fuyant l’embrasement" d’une cité conquise.
Les amours d’un héros" les ont-ils procréés?
Rien ne leur appartient" ni joyaux' ni palais
Hors quelques boucliers" et de mauvaises lances.
Pas d’enfants' de famille" et pas même une femme.
Pour unique pays" les guérets que défendent
Leur palissade en bois" leur muraille en galets
Pitoyable rempart" contre les étrangers.
Pas de temple superbe" au centre du village
Sauf une louve en bronze" allaitant ses jumeaux
Sur le roc de Palès" déesse des pasteurs
Mais ils veulent tout vaincre" et veulent tout soumettre.
L’inépuisable ardeur" habite leur poitrine.
Dans l’âme ils ont gardé" l’irradiante énergie
La volonté' la pugnacité' la bravoure.

Couronnées de bosquets" non loin d’eux' sept collines
Portant quelques hameaux" dans la rase lambrusque
Fagutal' Querquetual" Cispius et Palatual
Patries pour les Titiens" les Ramnes et Lucernes.
Sur l’autre bord du fleuve" au tumultueux flot
Se massaient les armées" des Étrusques puissants.
Vers le Sud' vers le Nord" les Sabins et les Volsques
Menaçants' provoquaient" les bourgades latines.
Pendant ce temps' là-bas" sur une île rocheuse
Dans leurs comptoirs actifs" les survivantes villes
Du naufrage fatal" au monde minoen
Méditaient leur assaut" victorieux' pacifique
Syracuse et Rhagion" Sybaris et Tarente
Proues de marbre échouées" et fanaux de l’Esprit
Métropoles zélées" où fleurissaient déjà
Les poètes fameux" Stésichore' Ictinos
Les subtiles pensées" du génial Parménide.

La civilisation" partout se déployait
Dans le fracas martial" des armées se heurtant.
Les Cimériens vainqueurs" occupaient l’Ourartou.
Les Hébreux s’épuisaient" dans Raphia dévastée.
L’Égypte s’inclinait" devant les Sargonides.
L’Assyrien sans pitié" dominait Déjocès.
Tyr' Byblos' dans les mers" disséminaient leurs dières
Semence dérivant" en quête d’un rivage
Pour que germent demain" de nouvelles cités.
Sur l’autre bord des flots" une mégalopole
Formidable vaisseau" d’un maritime empire
Sous la ferme ascension" des puissants Magonides
Sûrement' lentement" s’armait pour le combat
Parsemant ses cothons" embusqués dans les rades.

Les bergers cependant" vont mener les troupeaux
Ne connaissant encor" en cette contrée vierge
Qu’épargne pour un temps" le tourbillon des guerres
La fureur déchaînée" des conflits' des conquêtes.
Les paisibles chevreaux" dans les pacages broutent
Puis trempent leur museau" dans un ruisseau limpide
Coulant de l’Aventin" vers la mer Tyrrhénienne.
Le soleil printanier" sur l’horizon pointait.
Son intense lumière" illuminant l’Orient
Paraissait refléter" le triomphe des peuples
Qui s’élevaient là-bas" à l’orée de l’Histoire
Dans un halo vermeil" de victoire et de sang.

Transis par la fraîcheur" de la bise glaciale
Qui soufflait sans répit" du neigeux Apennin
Les bergers dans un val" près d’un foyer s’unirent.
Là' devant le brasier" les voilà partageant
Du fromage caillé" quelques fruits desséchés
Puis l’un d’eux pour tous verse" en un grossier cratère
Le vin qui mûrissait" au flanc du Janicule.
Dans leur idiome clair" alors ils entonnèrent
D’anciennes mélodies" venues du Nord lointain.
Les yeux réverbéraient" les rougeoyantes flammes
Qui nimbaient les cheveux" d’une lueur sereine.
La vernale saison" chassant le triste hiver
Dans leur âme éveillait" l’énergie vivifiante.
Vénus qui traversait" le brouillard matinal
Bienveillamment semblait" sourire à leurs desseins.

Brusquement s’établit" un moment silencieux.
L’un des pâtres connu" pour ses divinations
Regardait longuement" la fumée tournoyant
Qui du sol noir montait" vers les cieux lumineux.
Brusquement à sa vue" la colonne mouvante
Parut se transformer" en immense panache
D’où par milliers fusaient" des glaives et des lances
Dans un étagement" de frontons et portiques.
La sublime vision" dans les nues grandissait
Puis germait en rayons" vers tous les continents.
C’est alors que le mage" aux bergers insouciants
Dit ces mots résolus" inattendu message
«Romains' l’heure est venue" de conquérir le Monde»

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - Éditions Sol’Air - 2007