QUELQUES RÉFLEXIONS
SUR LES FÊTES DU LIVRE

Les fêtes du livre, j'ai pu en pratiquer depuis une trentaine d'années environ. De toutes sortes, depuis les grands salons comme Brive ou Limoges jusqu'aux plus petites en milieu rural. Certaines très réussies, d'autres moins. Un bon échantillon pour témoigner. L'on pourrait sans doute s'essayer à une peinture satirique de ces manifestations à la manière dont Juvénal décrit la fréquentation des thermes romains. En tous cas, je vais essayer une synthèse.


UNE FÊTE DU LIVRE, C'EST QUOI?

Par rapport à une librairie, une bibliothèque, la singularité d'une fête du livre est certainement de présenter des auteurs. Disons que c'est la double interface entre l'auteur, le lecteur et le livre permettant une présentation vivante, personnalisée. Si cette dimension est absente, à mon avis, le principe même de la manifestation se trouve altéré. On ne saurait donc trop conseiller aux organisateurs d'éviter ou au moins de réduire les étalages de livres à la vente dont les auteurs ne sont pas présents.


STATUT DES PARTICIPANTS

Principe d'une fête du livre: le multipartenariat: auteurs présentés par libraires, par éditeurs, diffuseurs, associations ou par eux-mêmes (auteurs auto-édités). Néanmoins, il s'agit d'un prncipe théorique.

Point de cristallisation: l'opposition entre les auteurs dits "édités" et les auteurs-autoédités, également entre les grands éditeurs et les petits éditeurs, ce qui entraîne parfois des tensions et des conflits d'intérêts. Certaines manifestations, qui se veulent plus professionnelles ou plus huppées, refusent systématiquement les auteurs auto-édités, considérés comme des indésirables sans valeur, ce qui est mal perçu, on s'en doute, par les intéressés. D'autres manifestations sont dévolues uniquement à la petite édition. Sans entrer dans le détail, il est utile là-dessus de rappeler certaines généralités concernant l'édition.

Le système éditorial repose sur le principe selon lequel les maisons d'édition sélectionnent grâce à un comité de lecture leurs titres parmi les manuscrits qui leur sont envoyés. Les autres partenaires (organisateurs de manifestations, bibliothèques, libraires) s'appuient sur cette sélection. C'est une prodédure professionnelle logiquement propre à distinguer les ouvrages de qualité les plus conformes à ce que souhaite le public. Tout en reconnaissant sa pertinence, doit-on considérer ce système comme un absolu et dès lors écarter de toute visibilité les ouvrages auto-édités? Des exemples historiques fameux - que je ne développerai pas - incitent à considérer que la barrière entre ces 2 types d'ouvrages, ceux adoubés par le système et ceux rejetés, doit être relativisée, d'autant plus que certains auteurs, autoédités pendant de nombreuses années, deviennent des auteurs édités. La différence apparaît encore plus floue si l'on considère les très petits éditeurs, les associations éditrices à but non lucratif, dont les conditions d'édition s'apparentent plus ou moins à l'auto-édition. D'autre part, certains éditeurs, certaines librairies reçoivent des subventions, ce qui altère le principe originel de l'édition à compte d'éditeur.

Il me semble que les différents acteurs (organisateurs de manifestations, bibliothèques...) ont intéret à s'émanciper dans une certaine mesure d'une contrainte trop rigide et à exercer leur propre choix, ce qu'ils font pour certains. Tous les partenaires peuvent y gagner, en particulier les grands éditeurs pour qui se trouvent testés sur un vrai public des ouvrages, susceptibles d'être intégrés par la suite à leur collection. De même, le cinéma d'essai est bénéfique pour les majors et les start-up pour les GAFA qui peuvent les racheter à leur profit.

Dans les petites manifestations en mulieu rural, en général, pas de présélection: le public décide par lui-même de ce qui l'intéresse. Les sélections préalables pourraient être préférables, mais à la condition d'être établies sur des critères d'ordre purement littéraire - même s'ils sont subjectifs - ce qui est rarement le cas.


NOMBRE DE PARTICIPANTS

Certains salons peuvent présenter plusieurs centaines d'auteurs et vantent par leur publicité le nombre important de participants qu'ils ont pu réunir comme si le gigantisme numérique était un critère qualitatif. Je ne vois pas trop l'intérêt de multiplier le nombre d'auteurs, sous peine d'obtenir une manifestation qui manque de convivialité où les visiteurs ne s'y retrouvent plus et perdent leur motivation. Réunir une cinquantaine d'auteurs au maximum me paraît une limite raisonnable, même pour une grande ville.

La limitation du nombre d'auteur peut avantageusement être remplacée par un meilleur renouvellement des auteurs d'une année sur l'autre, ce qui peut être obtenu en préinscrivant les auteurs pour l'année suivante, ce que font certaines fêtes du livre.

Pourquoi un salon du livre voudrait-il toujours devenir une grosse machine commerciale? Ces manifestations sont bâties souvent grâce à des sociétés organisatrices d'évènements engagées par les communautés de communes. Elles peuvent certainement jouer un rôle positif en proposant des animations, à condition de ne pas sombrer dans le gigantisme et la démagogie.

Par ailleurs, inviter des grosses pointures pour drainer le public, pourquoi pas bien sûr, mais à mon avis uniquement si c'est justifié par des critères réellement littéraires. Il me paraît préférable de privilégier des auteurs qui sont d'abord des auteurs avant d'être des vedettes dans un domaine annexe.


DÉROULEMENT

Il n'est pas inutile de considérer les conditions matérielles, notamment ce qui concerne le fond sonore. À mon sens, le silence est impératif. Bien difficile de présenter ses ouvrages à des lecteurs potentiels si l'on ne s'entend pas. Et il faut songer qu'un certain nombre de personnes âgées ont une audition diminuée. Un salon du livre, ce n'est pas une kermesse populaire. Il faut une atmosphère intime qui se prête aux échanges. Les manifestations imposant une musique de fond sont insupportables, d'autant plus que les multiples rappels pour diminuer l'intensité sont souvent inopérants. Il se trouve toujours un responsable de la sono relevant subrepticement le son. Par ailleurs, les interviews d'auteurs, les interventions diverses au micro sont également insupportables et improductives. Généralement, personne ne les écoute.

Question conditions de placement: pas agréable si on se trouve désavantagé par rapport à d'autres: par exemple se trouver dans un renfoncement de la salle où l'accès est difficile ou sur la scène (où il faut monter des marches)... Attention au voisinage aussi: fuir comme la peste les dessinateurs de bandes dessinées (pardon pour eux) car une nuée d'enfants vont s'agglutiner devant le stand et déborder... Le mieux, c'est toujours d'arriver avant les autres sinon votre emplacement risque d'être mordu ou déplacé désavantageusement.


VENTE

Question condition de vente, j'ai à peu près tout vu. Les pourcentages (généralement 10 à 15%) au profit d'un comité des fêtes le plus souvent. Parfois des comptages fastidieux (souvent faux et conduisant à des litiges). J'ai vu des cas où l'auteur était obligé de remplir un ticket, ce qui obligeait l'acheteur à revenir après paiement pour chercher son livre. Le mieux me paraît d'établir l'état des ventes d'après la confiance. Dans ce cas, le pourcentage me paraît une bonne méthode. Cependant, le plus simple et le plus pratique, c'est la location d'un stand. Après chacun fait ce qu'il veut sur son stand. Généralement, c'est 10 à 30 euros avec repas compris pour 1 m linéaire. Certaines manifestations, cornaquées par des personnalités en vue, affichent insolemment un prix de location prohibitif. Pour certaines manifestations, les repas, l'hôtel, l'inscription sont gratuits et les frais de route payés. Ceci pour les fêtes qui ont des subventions, bien sûr, tous les organisateurs ne peuvent pas en obtenir.

Au total, des conditions financières pas toujours évidentes pour les auteurs qui choisissent d'apporter leurs livres. Pour un auteur qui passe par un libraire, en principe, son stand est prêt, tous ses frais lui sont payés. Pas toujours tout rose non plus pour lui. En réalité, ses frais ne sont payés que pour quelques manifestations, et il lui manque souvent des titres, surtout s'ils sont chez plusieurs éditeurs. Il a intérêt à avoir toujours quelques livres dans le coffre de sa voiture - pour le cas où on l'oublie complètement par exemple (cela s'est vu). Il faut le dire: la librairie, si elle est effectivement un maillon essentiel de la vente qu'il faut défendre, n'est pas vraiment adaptée à la filière des manifestations du livre, sauf pour les grands salons. Plus simple que l'auteur amène ses ouvrages qu'il aura rachetés à son diffuseur ou son éditeur.


STANDS ET / OU ANIMATIONS?

Depuis plusieurs décennies, les manifestations du livre - du moins celles qui en ont les moyens - évoluent vers une formule de journées littéraires avec animations audio-visuelles, conférences, cafés littéraires, lectures, spectacles. Ce concept possède l'intérêt de présenter directement et gratuitement du contenu littéraire au public. L'écueil est la dispersion au profit de prestations qui n'ont au final plus rien de littéraire. Ces prestations peuvent promouvoir les ventes, par exemple lors d'une lecture par l'auteur. Il se peut cependant que les animations détournent de la vente en offrant au public une autre forme de média. Par ailleurs, c'est une tendance qui participe au renouveau des fêtes du livre, lesquelles, devons-nous avouer, se sclérosent lentement, mais sûrement, selon leur formule traditionnelle. Les animations permettent également les approches transversales entre les arts et favorisent l'expression orale, très négligée par rapport à l'écrit.

Pourrait-on concevoir des journées littéraires sans aucun stand, les auteurs vendant leur ouvrage par rotation dans des salles indépendantes à l'issue d'une présentation ou même ne vendant rien? L'inconvénient serait que le lieu d'échange pour les auteurs et lecteurs disparaîtrait. Également, les lecteurs ne pourraient pas acheter extemporanément en dehors des crénaux établis. Un espace stand reste donc indispensable, mais devrait être considéré comme accessoire par rapport aux animations dans le cadre d'une manifestation littéraire. Plus loin, nous pouvons imaginer des journées littéraires qui ne sont plus du tout des fêtes du livre, mais des rencontres, des prestations littéraires.

Cela dit, un écueil, d'ordre pratique, doit être évité. Il consiste à mêler dans une même salle les animations et les stands, ce qui insupporte aussi bien les auteurs sur stands que les déclamateurs ou conférenciers et le public. Il me paraît absolument indispensable de réaliser les animations dans une salle indépendante acoustiquement. Je conseille aux auteurs, s'ils veulent éviter les conflits, de fuir les propositions d'animation qui ne satisferaient pas à ce critère essentiel.

À l'adresse des organisateurs, s'ils prévoient des scènes ouvertes, je leur conseillerais de bien les encadrer, surtout chronologiquement. Le mieux me paraît de suivre la tradition du slam consistant en une inscription préalable en début de séance et de restreindre chaque séquence à une durée maximale de 3 minutes. J'ai vu des dérives très préjudiciables se développer lorsque cette limitation n'était pas respectée. Les auteurs ont souvent tendance à accaparer le micro sans le mondre souci de savoir s'ils risquent de lasser. Rien n'est plus détestable que ces intervenants qui se considérent comme le centre obligé de l'attention publique. Ils se font plaisir à eux-mêmes en profitant d'un public captif, n'osant pas les interrompre par politesse. Et ils imaginent que plus ils déclameront longtemps, plus ils laisseront une empreinte positive. C'est très souvent, à mon avis, l'inverse qui se produit. S'ils veulent s'imposer, ils le feront d'autant mieux qu'ils interviendront dans un laps minimal pour un texte particulièrement choisi.

Dans le cadre d'un récital dévolu à un auteur ou un groupe, un espace temporel plus important doit naturellement leur être accordé. Néanmoins, les lectures littéraires, accompagnées ou non de musique, requièrent une attention particulièrement aigüe. Il me paraît difficile d'accorder pour une prestation de ce type une plage supérieure à une heure au total. De surcroît, des pauses sont nécessaires pour entrecouper la déclamation, soit par un échange direct avec le public - hors texte - soit par des séquences instrumentales interprétées sur scène. Seuls, les spectacles purement musicaux ou scénarisés - requérant une professionnalisation et des moyens matériels conséquents - peuvent prétendre à se développer selon des plages horaires plus importantes avoisinant ou dépassant deux heures.


FÊTES DU LIVRE ET LIVRE ÉLECTRONIQUE

Il y a quelques années, le développement du livre électronique pouvait présager une désaffection à l'égard du livre papier. Il faut avouer que rien de tel ne s'est produit. Cela, certainement pour des raisons complexes que nous n'analyserons pas. Le livre papier, pourtant un support fragile, d'une perrénité relative, énergivore et polluant - comparé notamment au parchemin - résiste bien. Il faut signaler néanmoins le développement, contre toute attente, de la poésie par l'intermédiaire des forums, opportunité offerte aussi bien aux auteurs qu'aux lecteurs. En fête du livre, certains intervenants viennent avec des ordinateurs afin de promouvoir leur ouvrage. J'ai moi-même tenté l'utilisation d'une tablette présentant des extraits en libre accès sur internet. Je ne peux pas affirmer que l'expérience ait été très concluante. Plus généralement, peu de lecteurs lisent quelques paragraphes ou quelques pages d'un ouvrage (électronique ou papier) pour décider d'un achat. La quatrième de couverture et le dialogue avec l'auteur restent les déterminants essentiels.


CONCLUSION

Voilà pour ce panorama. En conclusion, je dirais à l'adresse de l'auteur: pour les fêtes du livre: être motivé par ses ouvrages, par le dialogue avec le public, c'est ce qui détermine la satisfaction - sinon la réussite. Cependant, rester à son stand pour attendre le chaland ne saurait suffire. L'auteur gagne à s'investir par tout autre canal pour promouvoir ses ouvrages par des extraits en lecture, présentations devant un public ou sur les réseaux sociaux. À l'adresse des organisateurs, je leur conseillerais, si je puis me permettre, de ne pas sacrifier l'aspect littéraire authentique au profit d'un déploiement médiatique superficiel.

Claude FERNANDEZ

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