LA COLONNE ÉCROULÉE

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant la colonne écroulée des Suchères sur l’autoroute Lyon-Clermont-Ferrand, symbole de la décadence de l’Art moderne.


Au bord d’une autoroute" éventrant la montagne
S’étale une colonne" écroulée pesamment.
Ses monceaux déjetés" pitoyablement gisent.
L’on croirait un amas" lamentable' indécent.
La verticalité" sublime et triomphante
Se trouve ici bafouée" par une inclinaison
Qui menace un lambeau" du piteux édifice.
Le porte-à-faux d’un bloc" insulte à l’équilibre
Finit de révulser" le spectateur navré.

Des Romains et des Grecs" témoignant la grandeur
Les antiques débris" élèvent l’âme aux nues
Mais cet affaissement" l’abaisse et l’avilit.
Démantelés' désunis' démembrés' détruits
Par l’Homme et les autans" pendant les millénaires
Les cippes et tambours" triglyphes et métopes
Conservent leur splendeur" et leur magnificence
Mais cet agglomérat" en sa lourdeur massive
Ne traduit que tristesse" et plate petitesse.
Fruit de la vanité" l’immondice arrogant
Sans la moindre pudeur" exhibe sa laideur.
Son créateur osa" la désigner une œuvre
Lui-même s’affublant" d’une fonction pompeuse
L’artiste supérieur" divino artista.
Mais si le contemplaient" Michel-Ange et Vinci
Quelle incompréhension" ne les auraient saisis?
Mesquin usurpateur" imposteur et plagiaire
S’il avait jadis vu" tendus vers le zénith
Les pylônes puissants" de l’égyptien Karnak
Les chapiteaux légers" du Mausole carien
N’eût-il senti la honte" empourprer son front vil?
N’eût-il abandonné" son entreprise abjecte?

Ces blocs géants sont-ils" d’un noble minéral?
Si la forme est vulgaire" au moins le matériau
Gabbro' syénite ou grès" andésite ou granite
Pourrait la compenser" par sa propre beauté.
Pour voir' avançons-nous" vers l’un des monolithes.
Palpons' tâtons' scrutons" la rotondité lisse.
Quelle déception' las" point de roche compacte.
Ce n’est là qu’un ersatz" un Lafarge' un Vicat
Terne béton vomi" par un moderne four.

Mais à la réflexion" pourquoi s’en offusquer?
De ce faux monument" louons le concepteur.
Ne magnifie-t-il pas" la dégénérescence?
N’est-il pas nouvel art" des peuples gangrénés?
Le pressé voyageur" peut ainsi contempler
Sans même ralentir" son bolide bruyant
Le difforme témoin" de notre vaine époque.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007