ASPIRATIONS DANS LA LECTURE DES TEXTES LITTÉRAIRES

Dans la lecture des textes littéraires, les “aspirations” - ou plutôt en réalité, expirations - affectent un nombre de mots variable selon les locuteurs. Ces aspirations entraînent sur le plan phonique certaines conséquences que nous étudierons. Nous formulerons à l’issue un jugement d’ordre esthétique dans le cadre de l'écriture euphonique.

Précisons bien que cet exposé ne concerne que le discours littéraire, en aucun cas le langage courant. D’autre part, il s’agit fondamentalement d’un exposé abordant le sujet sur le plan de l’esthétique littéraire. Le point de vue est celui d'un auteur-déclamateur s’appuyant sur sa propre expérience et sur celle qu'il peut observer chez ses confrères.

Les exemples audio fournis pour illustrer cet article sont généralement tirés du site litteratureaudio.com.


TYPES D’ASPIRATION

Considérons en premier lieu ce que nous révèle l’audition de déclamations littéraires:

2 types d’aspirations sont constatées:

-aspirations obligatoires sur les h dits aspirés indiqués par le dictionnaire de l’Académie Française: l’exemple le plus célèbre est le mot "haricot"

-aspirations "surnuméraires" précédant d’autres mots, donc erratiques par rapport au dictionnaire de l’Académie:
ex: le tain *arrive (aspiration orale précédant le a de arrive) au lieu de prononcer: le train arrive (sans aspiration)

L’enregistrement que nous allons écouter présente successivement un cas de non aspiration (sur o aux), un cas d'aspiration surnuméraire aspirée (é accent aigu) et un cas de h aspiré (o haut)

scellées aux murailles (Victoria) interface é o dans le flux non aspirée

singulièrement *ému (Orangeno) interface en *é aspiration surnuméraire

depuis le *haut chandelier (Pauline) interface e *ho sur h aspiré



Considérons les graphes pour mieux cerner les caractéristiques de l’aspiration.

Une des caractéristiques de l’aspiration dans le flux par rapport à une prononciation non aspirée, c’est qu’elle est précédée souvent d’un bref arrêt temporel (environ 100 millisecondes) contrairement à cette dernière (pas d’arrêt entre scellées et aux, arrêt entre singulièrement et ému, ou entre le et haut).La particularité élocutoire liée à la consonne d'aspiration explique probablement l'origine de ce temps d'arrêt.



L’aspiration crée un effet de cassure qui tient en partie au laps temporel qui la précède, cependant, si on compare les voyelles aspirées et non aspirées isolément, on constate que l’aspiration est relativement perceptible par elle-même

Exemple: Pauline Pucciano
*Un ciel gris... Un temps mou





Considérons un autre exemple avec une voyelle non précédée d'aspiration (en), une aspiration surnuméraire sur a et un h aspiré sur haut, ce dernier dans le flux contrairement aux 2 autres, néanmoins après un bref arrêt temporel.

...en rendant une plainte monotone, *avec une lenteur de sommeil… …comme deux boules en *haut de ses bras.

jsn déclamation personnelle





Dans cet exemple, l'aspiration sur le mot haut n'est précédée d'aucun arrêt temporel sensible.


STATISTIQUE GÉNÉRALE SUR LES ASPIRATIONS

Considérons l’aspect quantitatif. Nous étudierons les aspirations obligatoires (h aspirés) au niveau textuel, puis l’ensemble des aspirations effectivement prononcées à l’oralité.

Statistique sur les aspirations obligatoires au niveau textuel (h aspirés)

-nombre de mots concernés: 467

-fréquence: 2 pour 1000 mots (environ 1 toutes les 2 ou 3 pages) (sur échantillon de 12.185 mots)

Le nombre de mots affectés par une aspiration obligatoire est au maximum de 467 mots d’après les bases de données que nous avons pu consulter. Un grand nombre de ces mots sont très peu usités comme huteau, huard, hourdage… L'ensemble de ces mots comportant un h aspiré représente un nombre infinitésimal par rapport à un océan de mots, même si on considère le nombre de sons consonantiques différents: 21 d’après le code SAMPA et même si on compare au nombre de mots commençant par une voyelle seuls susceptibles d'être précédés par une aspiration. De surcroît, ce sont quasiment toujours les mêmes que l’on rencontre très souvent comme par exemple le mot hasard.

Les aspirations obligatoires représentent donc un nombre de mots infime et la fréquence de ces mots apparaît quasiment négligeable. Il est cependant nécessaire de les considérer pour déterminer leur traitement oral, mais également parce qu'ils peuvent constituer un marqueur du bien parler, marqueur social, marqueur de niveau culturel.

Statistique des aspirations au niveau de la lecture

-aspirations parmi les h aspirés obligatoires: 41 % (parmi 2 pour 1000 mots), soit 0,82 h effectivement aspirés à la lecture pour 1000 mots.

-aspirations erratiques surnuméraires: 11 pour 1000 mots (environ 3 ou 4 par pages). Par ailleurs, cela représente 4 % des mots commençant par une voyelle. La valeur, quoique faible, n’est pas si négligeable.

Concernant l’ensemble des voyelles précédées d'une aspiration, on constate une très forte disparité suivant les déclamateurs. Certains ne réalisent aucune aspiration surnuméraire, d’autres quelques-unes, mais certains lecteurs (2 sur 10 environ) en aspirent jusqu’à une trentaine pour 1000 mots (6 par page environ), soit 10% des mots commençant par une voyelle.

Ce qu’on peut retenir de ces valeurs, c’est que la grande majorité des aspirations constatées à l’oralité ne représentent pas des aspirations obligatoires, mais des aspirations erratiques surnuméraires (4 à 5 fois plus environ). Nous tenterons d'interpréter cette particularité qui peut paraître surprenante.


CONSÉQUENCES DE L’INOBSERVANCE DES ASPIRATIONS SUR LES H ASPIRÉS OBLIGATOIRES

Les h aspirés obligatoires représentent une difficulté dans la déclamation car ils doivent être discernés par le lecteur.

L’on tend actuellement à considérer comme secondaire l’aspiration des h aspirés et à réduire leur spécificité à l’absence d’élision et de liaison à leur niveau. Nous allons considérer les conséquences de cet évitement avant de discuter de son opportunité et de sa légitimité.

D’une manière générale, l’absence d’aspiration transforme un mot commençant par une consonne en un mot commençant par une voyelle. L'on retrouve à ce propos les cacophonies propres aux mots commençant par une voyelle, ce que nous avons amplement développé dans le chapitre consacré aux cacophonies. Notamment, une interface lexicale CC (consonne-consonne) entre deux mots devient une interface CV consonne-voyelle) plus fluide, mais cela peut, selon les cas, générer diverses cacophonies consonantiques, et plus rarement cela peut en éviter. Il n'y a donc rien de spécifique à cette modification, sinon le cas particulier, très rare, de la succession h aspirés devant le son ill (j en SAMPA), par exemple les mots hiérarchie, hyène. Nous allons considérer ces cas en raison de leur singularité.

Ces mots commencent par le son noté j en SAMPA ou API, considéré comme semi-voyelle). On comprend que l’aspiration ne puisse se surajouter devant cette semi-voyelle par quasi-impossibilité phonatoire, quoique ces mots puissent être notés dans les bases de données de mots en h aspiré. En raison de ce son spécial intermédiaire entre voyelle et consonne, selon l’habitude, certains de ces mots admettrent l’élision, ce qui correspondrait plutôt aux cas d’apocope des e de proclitique en argot:

J’me lève au lieu de je me lève (cas de proclitique apocopé en langage relâché)

En revanche, ces mots n’admettent jamais la liaison:

la hyène ou l’hyène (ces 2 orthographes sont admises par la plupart des dictionnaires)

la hiérarchie (seule orthographe admise)


DISCUSSION SUR L’ASPECT PHONIQUE ET ESTHÉTIQUE DES ASPIRATIONS OBLIGATOIRES

Considérons maintenant de quelle manière doivent être traités oralement les h aspirés obligatoires.

Il est bien évident qu’en raison de l’usage, il serait difficile d’envisager l’élision et la liaison dans le cas des mots en h aspirés, (sauf pour quelques cas où l'aspiration peut pallier l'élision).

De surcroît, l'élision et la liaison au niveau des h aspirés créeraient des ambiguïtés sémantiques gênantes. Voici quelques exemples:

l'houx --> confusion avec loup
l'hasard -> confusion avec Lazare
l'heurt -> confusion avec l'heure

souvent houx -> confusion avec souvent toux
les heurts -> confusion avec les heures
les haches -> confusion avec les aches

En revanche, la question peut se poser de savoir si l’aspiration reste judicieuse dans la mesure où elle semble accuser une certaine désuétude.

Commençons par considérer ce qu’en dit l’Académie et le Trésor de la Langue Française, 2 références primordiales.

Avis de l’Académie Française

Le h dit aspiré ne s’entend plus que dans certaines interjections et onomatopées comme Ha ! Hé ! Hue ! Hop ! ou Hum ! ou, quelquefois, dans des verbes comme Hennir, Hisser, Hurler. Placé à l’initiale ou à l’intérieur d’un mot, il empêche la liaison et l’élision, …

L’Académie établit le constat que l’aspiration n’est prononcée que pour quelques cas. Les résultats statistiques que nous avons obtenus sur les textes littéraires montrent un taux de prononciation nettement plus conséquent, comme nous l'avons indiqué. Cette différence peut s’expliquer car l’Académie - comme les linguistes en général - considère essentiellement la pratique courante de la langue et plus rarement celle des textes littéraires, ce qui seul nous importe de notre point de vue.

De ceci, l'on retiendra que l’Académie ne formule aucune prescription concernant l’aspiration ou non, même si elle ne semble pas s'opposer à sa désuétude constatée.

Nous avons donc tout loisir de choisir sur ce point la solution qui nous paraît la plus congruente pour la lecture des textes littéraires sans être en conflit avec les prescriptions de l’Académie.

Avis des dictionnaires et du TLF

Les dictionnaires - qui n'ont aucune valeur prescriptive - quant à eux, fournissent des avis divergents. Parmi eux, nous allons considérer plus spécialement le cas du Trésor de la Langue Française dirigé par des linguistes du CNRS et de l’Université de Lorraine, c’est une référence importante comme nous l’avons signalé. Voici un extrait suffisant de la partie qui concerne spécifiquement les aspirations:

Bien qu'il ne corresponde généralement pas de segment distinct à h, les effets de l'« aspiration » sont ceux de l'existence d'une consonne, à savoir : à l'initiale, non liaison, les hanches [leɑ ̃:ʃ]; non élision de la voyelle : la hanche [laɑ ̃:ʃ], p. oppos. à l'anche [lɑ ̃:ʃ]; forme fém. de l'adj. dans ma hanche, p. oppos. à mon anche. Dans le cas d'une consonne non élidable, p. ex. dans cette hanche, l'aspiration a pour effet l'apparition d'un [ə] intercalaire [sεtə ɑ ̃:ʃ], ou d'un coup de glotte [sεt6ɑ ̃:ʃ]. Leur hauteur et leur auteur ne se confondent pas; par hasard est, cependant [paʀaza:ʀ], sans démarcation (d'apr. Barbeau-Rodhe 1930).

Sans entrer dans le détail, le Trésor, pour sa part, se borne, comme l'Académie, à constater l'absence d'aspiration elle-même en des termes assez flous: "généralement". Il affirme l’existence d’une aspiration souhaitable selon certaines circonstances. Précisons une fois de plus que ce constat concerne a priori le langage courant et non spécifiquement les textes littéraires.

À partir de ces éléments, nous allons pouvoir entamer une discussion.

Discussion

Tout d’abord, considérons l’argument de la désuétude. En ce qui concerne les textes littéraires, l’absence d’aspiration ne peut se justifier par la constatation d’une désuétude du h aspiré puisque l’on constate sa présence dans 41 % des cas, ce qui est loin d'être négligeable.

Cette valeur relativement moyenne pourrait signifier en partie seulement une négligence de prononciation de la part des lecteurs car il peut s’agir d’une ignorance concernant la propriété ou non d’aspiration.

En effet, un problème d’ordre sémiologique se pose. Il est probable que l’absence de distinction graphique entre le h aspiré et le h dit muet explique en partie les défauts d’aspiration constatés.

D’autre part, cette confusion est propre à décourager les lecteurs de respecter les h aspirés. C’est certainement un des meilleurs exemples où une ambiguïté orthographique favorise une faute de prononciation effective ("faute" au moins pour l'absence d'élision ou de liaison).

Et c’est sans doute à ce propos qu’une réforme de l’orthographe serait souhaitable. En effet, le h en initial crée une ambiguïté, ce qui est source d’erreur contrairement aux cas d’équivoque comme le f et le ph qui signifient tous deux le son f et n'ont donc aucune incidence erratique sur la prononciation.

herse humain (ambiguïté sur le signe h: aspiration ou non)
effet éléphant (équivoque des signes f, ff et ph pour signifier f: pas d’ambiguïté)

On peut fournir une comparaison très significative avec le code génétique qui admet l’équivoque pour certains codons au niveau de l’ARN messager, mais non l’ambiguïté, ce qui n’induit pas d’erreur sur la séquence d’acides aminés au niveau de la protéine. Par exemple, AUU (adénine, uracyl uracyl) ou AUC (adénine, uracyl cytosine) ou AUA vont coder pour l’isoleucine. On peut interchanger le 3e nucléotide (qui peut être U ou C ou A) sans entraîner d’erreur au niveau de la séquence d’acides aminés.

Sur un autre plan, on pourrait justifier l'évitement de l’aspiration par le caractère abrupt de cette sonorité qui est un son guttural occasionnant une cassure inopportune par lui-même et souvent par un court arrêt temporel qui le précède. Il faut admettre que l’aspiration n’est pas une consonne particulièrement euphonique. Son évitement permettrait de dulcifier la langue dans le sens de son génie propre.

Par ailleurs, l’évitement de l’aspiration peut engendrer des cacophonies sur voyelles ou syllabiques, mais cet évitement peut aussi éviter une interface CC plus rude au profit d'une interface plus douce CV.

D’un autre point de vue, la solution prônée par certains dictionnaires ou organismes de ne pas prononcer l’aspiration (comme le Robert par exemple ou l’Office québécois de la langue française) introduit de novo une règle d’exception inusitée qui complique encore la langue et n’a, nous semble-t-il, pas de justification théorique évidente.

En effet, la consonne h aspiré n’étant pas prononcée, la liaison et l’élision devraient s’appliquer comme pour tout mot commençant par une voyelle.

Ainsi, l’évitement de l’aspiration crée une catégorie de mots n’obéissant pas aux règles générales.

Ces exemples comparés montrent la particularité des interfaces en h aspirés dans le cas où l'on ne prononce pas la consonne d'aspiration.

large couverture interface eC : pas d’élision
colline élevée: interface eV : élision
large housse interface eV : pas d’élision

ils viennent ensemble: interface eV : liaison
Ils viennent honteusement: eV : pas de liaison

marins intrépides: interface VV : liaison
marins hardis: interface VV : pas de liaison

En second lieu, l’aspiration en poésie apparaît indispensable pour les textes obéissant aux règles classiques, qu’ils soient contemporains ou anciens. En effet, l’évitement de l’aspiration entraîne des cacophonies directes sur voyelles qui sont proscrites. Cette prévention de Boileau tirée de l’Art poétique l’illustre admirablement:

Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.

Le h aspiré de hâtée évite la cacophonie oa et le h aspiré de heurté évite la cacophonie in e ouvert.

Nous avons vu précédemment que l'évitement de la liaison et de l'élision, évite certaines ambiguïtés sémantiques, mais cela ne permet pas d'éviter celles qui sont liées au mot lui-même, indépendamment de ces circonstances. Donnons quelques exemples en suivant simplement le début de la liste alphabétique des mots aspirés:

*hatée athée
*hache ache
*hagard agar
*haine aine
*hanche anche

Conclusion sur la prononciation des h aspirés

Faut-il prononcer ou non l’aspiration? Nous avons développé des arguments contradictoires. Considérant l’état actuel de la situation: un respect en partie persistant de l’aspiration dans les textes littéraires et surtout la nécessité de préserver les règles classiques de la poésie, il nous paraît plutôt souhaitable de conserver la tradition du h aspiré dans les textes littéraires, ce que ne contredit ni le Trésor de la Langue Française ni l'Académie.


CONSÉQUENCES DES ASPIRATIONS ERRATIQUES
SURNUMÉRAIRES

Rappelons que ces aspirations surnuméraires (ne correspondant à aucun h aspiré) représentent largement la majorité de cas. Considérons ces différents cas d'occurrence:

Occurrences

-après un mot terminé par une consonne brute:
cheval accablé → cheval *accablé

-après un mot terminé par un son vocalique sans liaison congruente possible
plateau incliné → plateau *incliné
tout à coup alors → coup *alors (puisque la liaison p est ici quasiment impraticable)

-après un mot terminé par un son vocalique avec liaison congruente possible
mot émouvant → mot *émouvant

-au niveau d’une élision
orange amère → orange *amère ici avec généralement apocope non prononciation du e caduc)

statistique des occurrences

Parmi les interfaces sans arrêt temporel:
% C*V parmi total CV : 0,4 %
% V*V parmi total VV (sans li ou li incongruente) : 5 %
% V*V parmi total VV (li congruentes): 2 %
% e*V parmi total eV (élision) : 1 %

Et parmi les interfaces précédées d’un arrêt temporel au niveau d’une ponctuation:
% *V parmi V: 8,4 %

Ces résultats statistiques montrent que les aspirations surnuméraires se rencontrent principalement au niveau d’une cacophonie vocalique, ce qui est une manière de l’éviter, et aussi quelquefois l’aspiration est préférée à la liaison congruence. Quelques cas plus rares apparaissent au niveau d’une élision. Néanmoins, tous ces cas sont limités. On est loin d’obtenir une diminution conséquente des cas de cacophonie vocalique.

Aspiration comme cheville consonantique

Les voyelles aspirés surnuméraires pourraient représenter, comme le sont les liaisons et autres consonnes euphoniques accessoires t, s l, des chevilles consonantiques susceptibles d’empêcher certaines rencontres de voyelles.

La différence, cependant, est que les consonnes l, t, s réalisent un véritable lien euphonique alors que la consonne gutturale d'aspiration crée plutôt une cassure comme nous l’avons vu.

Sur le plan théorique, l’adjonction d’une aspiration permet de mieux percevoir les limites lexicales (entre les mots), distinction particulièrement critique dans une langue comme le français où les accents toniques sont très atténués.

Quelques exemples ici montrant cette indistinction phonique, susceptible parfois de conduire à des confusions:

odieux élan entendu odieuzélent (odieux et lent)
poire amère entendu poiramère (poire à mère)

Même si le contexte lève l’indétermination, cette indistinction peut être gênante.

Sur le plan statistique, enfin, comme nous l’avons indiqué, l'importance des évitements de cacophonies sur voyelle est négligeable, notamment en regard des évitement de cacophonies sur voyelles par les lettres euphonique l, t, s... permises, en très grande majorité, par les liaisons.

D’autres causes, outre la fonction possible de cheville euphonique, peuvent être alléguées pour expliquer la quantité particulièrement importante d’aspirations chez certains lecteurs (jusqu’à 5 à 6 fois plus par rapport à la moyenne comme nous l'avons signalé).

D’une manière générale, toute locution génère un stimulus vocal et une sensation kinesthésique, ce qui crée par conséquence une euphorisation mentale. Deux types d’euphorisation sont possibles selon les locuteurs: soit une dilection pour les sons fluides et coulants, soit une dilection pour la raucité, la rugosité du discours. On peut également imaginer que les locuteurs adaptent leur style déclamatoire à l’euphorisation positive qu’ils pensent créer afin de plaire ou de convaincre leur auditoire (euphorisation indirecte). L’effet procèderait donc autant du public que du locuteur.

Selon cette hypothèse, le recours aux sons gutturaux plus ou moins accusés que constituent les aspirations devant les voyelles pourrait être un moyen de créer une euphorisation sonore et kinesthésique.

Dans le même sens, cette aspiration des voyelles pourrait aussi signifier un moyen d’accroître la captation de l’attention par émission de signaux parallèles aux sons normaux du discours. Et les aspirations vaudraient justement par leur caractéristique d’anomalie, soit une manière de dire: “Je me distingue, je suis là, écoutez-moi”. Ce pourrait être aussi, dans un registre opposé, l’objectivation d’un complexe négatif d’opposition à l’égard du public, un rejet parasitaire non maîtrisé.

En dernier lieu, les aspirations surnuméraires pourraient représenter une volonté anti-euphonique, l’expression d’une tendance inconsciente vers la cacophonie, négative ou par goût naturel.


DISCUSSION SUR L’ASPECT PHONIQUE ET ESTHÉTIQUE DES ASPIRATIONS ERRATIQUES SURNUMÉRAIRES

Venons-en à l’aspect esthétique lié aux aspirations surnuméraires auxquelles nous avons consacré beaucoup de commentaires, en raison surtout de leur intérêt théorique plus que pratique.

Malgré leurs possibilités d’éviter parfois les cacophonies entre voyelles et de mieux séparer les mots, Il serait difficile de ne pas considérer les aspirations surnuméraires autrement que comme un défaut de prononciation qu’il convient d’éviter. Cela, même si l’Académie ne poursuit pas de sa vindicte les modifications légères de prononciation, eu égard aux règles plus souples pour l’oralité que pour l’écrit. En effet, même si l’on veut faire abstraction de leur caractère erratique, ces aspirations créent en effet par leur nature même un effet de cassure, quoique minime dans le discours, pas toujours plus favorable qu’une cacophonie vocalique. Quelquefois, elles remplacent une liaison beaucoup plus congruente. Quant aux cas sur élision, rares il est vrai, le résultat apparaît phoniquement très dépréciant. In fine, l'on peut considérer que les aspirations surnuméraires prêtent ainsi une rugosité artificielle, plutôt malvenue, au discours littéraire.

Et l’on remarquera que dans le cadre de l’écriture euphonique, comme en poésie classique, l’évitement des cacophonies sur les voyelles permet de rendre inutile le recours à ce type de cheville consonantique, si toutefois ce rôle peut être avéré.


CONCLUSION GÉNÉRALE

Si les aspirations surnuméraires à l’évidence doivent être évitées, il n’y a pas de raison particulière d’éviter les aspirations des h aspirés auxquelles on peut laisser leur place naturelle en conservant logiquement leur principale caractéristique: l’aspiration elle-même. Une telle conclusion s'inscrit dans le cadre de la pratique littéraire, généralement plus conservatrice que le langage courant.


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